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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
MARDI 28 FÉVRIER 2006
Les barbares ont-ils un cerveau ?
L'étrange dérive de la manifestation du 26 février n'augure rien de bon.
Pour des raisons tout à fait fortuites et accidentelles ce bulletin paraît avec bientôt 10 jours de retard. De la sorte il se télescope avec des parutions des Éditions du Trident dont j'avais prévu de parler à mes amis lecteurs de l'Insolent.
I. Or, de jour en jour, l'obscure et terrible affaire de l'assassinat, présenté au départ comme exclusivement crapuleux, du jeune Ilan Halimi, qui se trouve être juif, révèle sa dimension monstrueuse.
Le nom même dont s'était affublé le chef (présumé) de la bande, Youssouf Fofana, dit « le cerveau des barbares » est à lui seul un programme. On ne sera sûrement pas déçu en découvrant la suite.
Au moment où on le recherchait encore, sans l'avoir trouvé, nous pensions, et nous écrivions : il n'est pas anecdotique d'apprendre « de sources proches de l'enquête » que ce jeune Français avit effectivement trouvé refuge en Côte d'Ivoire, c'est-à-dire dans un territoire juridiquement gris, par la grâce des très intelligents accords de Marcoussis (1). Si Fofana s'arrange avec un minimum d'astuce, il serait bien difficile d'en poursuivre et surtout d'en obtenir l'extradition.
En ce 28 février, l'extradition n'est pas encore assurée, son origine ivoirienne l'en mettant éventuellement à l'abri, puisqu'aucun État n'extrade aisément ses propres ressortissants.
Voici donc un mélange stupéfiant, où la modernité côtoie les temps mérovingiens.
Tout d'abord, pour la partie criminelle de cette affaire.
- Comment l'appeler : « meurtre de Ilan » ? « Bande Fofana » ?
Nous ne chercherons aucunement à entendre les excuses sociologiques sur les pauvres enfants des cités. D'abord parce que ce réseau criminel, pour ce que l'on en connaît, n'est pas dans le cas de déculturation et de détérioration dominant chez les incendiaires de l'automne. Ce que l'on en sait nous montre, ou tend à accréditer la thèse, de gens fort différents.
Bien entendu, la dimension crapuleuse n'a aucune raison de laisser occulter le tropisme antijuif des bourreaux.
À supposer même que les chiffres cités (3 victimes juives sur 6 ou 7) soient, faux ou complément fortuits, « l'incident » de la blessure frontale est en lui-même révélateur.
Ainsi, à en croire la simple logique des dépêches d'agence, pourtant bien prudentes, l'un des tortionnaires aurait pu faire une déclaration ressemblant à la suivante, que je traduis en français :
« Certes, Monsieur l'Inspecteur, j'ignorais, nous ignorions tous, au départ, qu'il fût de confession israélite. En l'apprenant, d'ailleurs par hasard, je lui ai marqué mon affection pour les enfants d'Israël en lui écrasant un mégot sur le front. Mais, sur mon honneur, je vous jure, Dieu (2) m'est témoin, qu'aucun sentiment antisémite ne m'inspirait alors. C'était pour ainsi dire la fraternité d'Abraham. »
J'ignore, au moment où j'écris ces lignes, si le tortionnaire était chrétien par son baptême (les dons de Dieu sont sans repentance), musulman, bouddhiste, athée, sikh, communiste ou franc-maçon. Mais une chose saute aux yeux, c'est que cette bande était, à l'évidence, animée par un courant de haine antijuive qui n'a pas grand-chose à envier à celle des nazis ou des staliniens, sinon les uniformes et les moyens techniques.
Et il est manifeste, par d'innombrables signes que cette haine antijuive se propage de plus en plus chez les « jeunes de banlieue ». Il faut être aveugle pour ne pas s'en rendre compte.
Je précise que cette haine dirigée contre les juifs est exactement aussi ignoble, ni plus ni moins, que celles des communistes contre les « koulaks ». On dit que c'est parce qu'ils croient les juifs « riches » qu'ils les haïssent : aux yeux de qui est-ce une excuse ?
Il est donc indispensable de se redresser et de ne pas subir ; encore faut-il chercher à le faire lucidement, et dignement.
Hélas, l'étrange dérive de la manifestation du 26 février,
- dont « les organisateurs », ou « le service d'ordre », ont prétendu exclure de ses rangs Philippe de Villers tout en acceptant la présence du parti communiste ;
- la lâcheté des gens de l'UMP ou de l'UDF acceptant cette exclusive mais acceptant aussi les voix (et les impôts) des électeurs de M. Philippe de Villiers ;
- l'absurdité, ou la ringardise de certains discours comme celui de tel cacique du PS (il nous a habitués à mieux, je préfère taire ici son nom) et qui a cru pouvoir s'écrier : « Ilan était Juif. Il aurait pu être Noir, il aurait pu être Beur. La plupart des minorités sont victimes d'attaques racistes, en France, et je suis là pour mener ce combat (3). »
- tout cela n'augure rien de bon.
Soyons d'ailleurs réalistes vis-à-vis de cette manifestation : elle n'a pas eu le succès que l'on veut bien dire, la Préfecture de Police estimant généreusement à 33 000 le nombre ses manifestants.
II. Mais quel est donc le point commun entre une telle affaire et les livres, eux-mêmes fort disparates, dont je m'étais promis de parler ces jours-ci.
Aucun lien ? Pas sûr.
Qu'on cherche à occulter cette horreur, à ergoter, à trouver des excuses sociologiques, à « restituer » l'affaire dans son cadre historique et urbanistique, prouve précisément deux choses :
1° La première chose est que les gens qui prétendent nous informer, nous qui prétendent diriger, qui prétendent nous réglementer, — nous mentent.
Eux-mêmes intoxiqués par leur propre discours, ils nous autorisent à nous interroger sur le concept même de « conspiration », qu'il faut soigneusement distinguer d'un mythique et anecdotique « complot ».
À ce titre, la connaissance du livre classique du « conspirationnisme » : « Une Main Cachée dirige » me semble urgente.
Oui, nous sommes tirés vers un scénario de capitulation de l'Europe et d'autodestruction de l'occident, qu'il serait fou d'ignorer.
2° Nous sommes, plus généralement, et au-delà de toute conspiration, entrés dans une situation qui rend affreusement actuelle l'interrogation d'un Drieu la Rochelle hier, et de quelques autres, sur les progrès de la Barbarie et de la décadence en Europe.
En cela son petit livre, à la fois prophétique et survol de l'histoire culturelle européenne, « Notes pour comprendre le siècle » nous semble prendre une actualité indéniable. En refermant cet agréable petit volume, je n'excuse certainement pas les crimes totalitaires, mais je comprends mieux, dois-je le dire, pourquoi et comment certains intellectuels français ont choisi, de la sorte, le mauvais camp, je comprends mieux leur « illusion fasciste ».
Je n'écris pas ces deux notes pour inciter un quoi que ce soit mes lecteurs à en rajouter sur leurs propres réactions, qui peuvent être très légitimes face à l'horreur grandissante, – on ne peut même plus la dire « rampante » depuis la flambée de violence, et de haine antifrançaise ne l'oublions pas, manifestée à l'automne 2005 – elle se confirme avec l'affaire Ilan-Fofana.
Contrairement à Drieu, par exemple, dont j'ai la prétention d'avoir pratiquement tout lu, je n'adhère certainement pas aux idées exprimées un moment, dans son « Socialisme fasciste », idées qui cependant ne sont pas toutes absurdes et que le titre n'explicite que très maladroitement : car pour, l'essentiel, ce sont des idées de gauche. Sa seule « excuse » est de les avoir formulées, en termes mesurés, en 1934, à un moment précis de la crise européenne, à un moment précis de l'impasse économique et, rappelons-le également, à un moment précis de l'impuissance et du discrédit du régime parlementaire en France.
Nous avons relativement la chance aujourd'hui en France de bénéficier encore d'une semi-liberté, d'une démocratie certes bancale mais, espérons-le, guérissable, et, d'autre part de pouvoir observer en Europe, en Occident et jusqu'en Inde ou au Japon des réussites politiques relatives dans le cadre de la démocratie libérale.
Raison de plus pour exiger de nos dirigeants qu'ils se montrent fermes et qu'ils entreprennent de redresser le pays non pas en ayant recours à plus de bonapartisme (on en a soupé après 12 ans de Chirac) et de jacobinisme (on en a encore plus soupé après plus de 200 ans), mais plus de respect du droit, plus de dignité de la loi et plus de valeur des libertés.
Sur ce dernier point aussi nous allons mesurer combien le sens des libertés et des responsabilités doit se manifester précisément face à la barbarie.
Au fond, je ne crois pas que les barbares aient vraiment un « cerveau ».
Ce qui les caractérise, c'est précisément de laisser libre cours à leurs pires instincts.
Les civilisés, de leur côté, ont certainement un cerveau, mais ont-ils encore des muscles ?
Les civilisés, en effet, devront désormais administrer la preuve que leur raison ne capitule pas devant la force.
Ou s'ils ne réagissaient pas, c'est alors que les pires scénarios deviendraient possibles.