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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

VENDREDI 12 MAI 2006

LE JEU TRUQUÉ DES INSTITUTIONS FRANÇAISES

Le jeu truqué

Quand l'affaire Clearstream nous révèle, une fois de plus, un arrière-fond assez peu ragoûtant.

Au moment où l'affaire Clearstream, à laquelle personne ne comprend rien, semble déstabiliser un plus le pouvoir chiraquien, il nous semble intéressant de revenir en arrière sur les racines de la situation institutionnelle de notre pays.

Je dis tout de même qu'à ce feuilleton "personne ne comprend rien" et je le répète. Ce "scandale", révèle, certes, un arrière-fond peu ragoûtant. Certes, on devine les pressions obliques sur les carrières des courtisans apeurés. Certes, on peut pressentir le lot de chantage à la mauvaise réputation. Certes, on constate une fois de plus la violation systématique du secret de l'instruction par des télé-magistrats aigris. Certes, on reçoit encore une bouffée nauséabonde et ridicule de commentaires stupides émanant de journalistes mal informés. On nous rebat encore d'une pseudo-morale sociale de militants du contrôle des changes.

Bref nous nous trouvons ici en présence de tout ce qui alimente le Socialisme maçonnique. Et on doit avoir le courage de constater que celui-ci est au socialisme libertaire du XIXe siècle ce que le local de la rue Cadet est à Notre-Dame de Chartres. On doit avoir l'honnêteté de noter également qu'il est aussi à l'idéal fraternel des premiers freemasons ce qu'une loge de concierge est à un château de la Loire.

Mais tout ceci étant posé, je rappelle que dans cette affaire il n'y a, à notre connaissance, ni vraie victime, ni vrai plaignant, ni même diffamé puisque les noms des politiciens qu'on a cherché à compromettre n'ont été révélés au public, stupéfait et d'ailleurs indifférent, qu'en fonction de la certitude de leur innocence : cela est presque un tour de force que de voir autant de chats n'ayant dévoré aucun canari. Pour un peu, la blanche hermine des ducs de Bretagne deviendrait soudain la nouvelle enseigne de la république de Paris : c'est à ne pas croire.

Il y a exactement un quart de siècle arrivait d'ailleurs au pouvoir un homme dont on a un peu trop tendance aujourd’hui à oublier les turpitudes.

À divers égards, il est vrai, François Mitterrand gagne parfois à la comparaison. Dans la bassesse et la petitesse, ses successeurs ont su le dépasser.

On peut tout de même considérer le pli déformant apporté à l’édifice constitutionnel et aux pratiques politiques depuis 1981. Pendant la période allant du 13 mai 1958 au 10 mai 1981, pendant 23 ans donc, une certaine coalition a pu se dire assez constamment « majoritaire » sans laisser trop de place à l’hypothèse de l’alternance. Alliée des communistes par l'effet du mode de scrutin, la nouvelle gauche relookée par Mitterrand, — d'abord lors de la campagne de 1965, puis par la re-fondation du parti socialiste au congrès d'Épinay de 1971, puis par le programme commun signé par Georges Marchais en 1972 – cette gauche-là pouvait faire peur et nombre de Français vécurent dans un climat de tension et de terreur son accession au gouvernement. Qu'on se souvienne de la tuerie d'Auriol, signe d'une panique au sein des réseaux souterrains du pouvoir évincé : cette hantise avait d'ailleurs servi pendant plus de 20 ans au maintien d'un réseau de pouvoir de type bonapartiste dont la base électorale n'a jamais vraiment représenté plus de 20 % de l'opinion française.

Issu d’un demi-coup d’État opéré dans une habile mystification au printemps 1958, appuyé sur un texte hâtif rédigé pendant l'été, conforté par une série de votes référendaires étalés de l'automne 1958 à l'automne 1962, ce régime pouvait jusqu'alors sembler à la fois transitoire et soumis à une pression qui semblait indispensable à son maintien.

C’était « Le Coup d’État permanent » titre d’un pamphlet admirablement rédigé en 1964 par Mitterrand lui-même.

Il peut sembler curieux que le même Mitterrand se soit attaché plus tard à en faire disparaître la diffusion.

Mais le paradoxe n'est qu'apparent puisque l’homme de l’Observatoire, du Congrès d’Épinay et de l’union de la gauche allait bientôt retourner cette constitution à son profit.

En effet, ce furent les gouvernements socialistes successifs, qui surent utiliser avec le plus d’habileté les dispositions et les silences de ce régime semi-présidentiel tant combattu par eux dans l'opposition. Ce fut d'abord celui de Mauroy en 1981, incorporant les communistes après les élections législatives, jusqu’à la combinaison socialo-affairiste lamentable de Bérégovoy en 1992 et même le très long cabinet Jospin entre 1997 et 2002.

On ne saurait sainement juger le jeu institutionnel français en faisant abstraction de telles expériences.

Il y a lieu, d'abord de distinguer entre :

L’exemple le plus connu, connu des constitutionnalistes en tout cas, est celui de la Constitution de 1873. Celle-ci avait été votée par des monarchistes conservateurs, pour être en définitive appliquée par les républicains à partir de 1877 et surtout par les radicaux à partir de 1902 (1). C’est l’aspect le plus éclatant de son paradoxe aux yeux des historiens. Mais la caractéristique de ce texte est aussi de ne pas mentionner le président du Conseil qui deviendra très vite, après la démission de Thiers le principal personnage de l’édifice connu sous le nom de IIIe république.

De même depuis 1958 nous lisons un document juridique disposant, sur le papier, que le Premier ministre conduit la politique de la nation. Or, si cette situation a plus ou moins caractérisé la période de « cohabitation » entre 1986 et 1988, sous Chirac Premier ministre, puis entre 1993 et 1995, sous Balladur et enfin entre 1997 et 2002, sous Jospin, chacun s’accorde à considérer de telles périodes comme « anormales ».

On doit d'ailleurs convenir que l'acceptation en 1985 par le parti chiraquien, en vue des élections à venir, de la formule appelée cohabitation représentait une trahison pure et simple de l'esprit de la Constitution : désavoué par le peuple, le chef de l'État doit s'en aller, et le fondateur de la Ve république, quant à lui avait sur le faire dignement, après le référendum malheureux de 1969.

Depuis l’arrivée de Villepin à Matignon, une autre question s’est fait jour progressivement : y a-t-il aujourd'hui un pilote dans l’avion ? Et lequel ? Le commandant de bord est-il en état de gouverner ? Le steward tient-il les commandes ? Cette situation explique bien des maladresses technocratiques dont le vieil élu corrézien eût été insoupçonnable. Manifestement on cache quelque chose aux citoyens.

Faudrait-il souhaiter dès lors voir un candidata déclaré à l'élection présidentielle, par exemple le ministre de l’Intérieur, chef du parti majoritaire, accepter de remplacer le chef du gouvernement en faillite et le chef de l’État hors service ?

En toute logique démocratique, on serait tenté de répondre qu’au moins nous voterions alors en 2007 en toute connaissance de cause.

La rumeur prête à cette situation une réputation de handicap.

Avoir été Premier ministre dans les mois qui précèdent le scrutin présidentiel condamnerait, nous assure-t-on, inéluctablement, à l’échec.

Mais en réalité on doit se demander si ce n’est pas une tendance beaucoup plus profonde qui est en jeu : si les chefs de gouvernements qui se sont présentés immédiatement à la présidence, Chirac en 1988, Balladur en 1995, Jospin en 2002, ont tout simplement souffert non seulement de l'usure du pouvoir et du désenchantement, mais tout simplement de la révélation de leur imposture, de leur impuissance et de leurs mensonges. Les Français ont pris, globalement, leur classe politique en grippe mais ils ont encore l'ingénuité d'accorder du crédit à des gens du sérail avant leur accession au pouvoir : avant, pas après.

Précisément, c’est de là que vient cet écœurement des Français. Ils se sont vus toujours trompés par les discours faussement réformateurs. Les promesses ont été suivies de fausses réformes en demi-teintes. Et on a osé appeler réformes des dispositions toujours destinées, en définitive à sauver, voire à consolider le système. Tel fut le plan Juppé de 1995, la réforme Fillon de 2003, etc. Ce sont toutes ces choses qui polluent le jeu des institutions françaises et qui découragent nos concitoyens par rapport à la démocratie elle-même.

Continuer le jeu serait non seulement pervers mais ce serait même attentatoire aux intérêts vitaux de notre pays.

Oui si tel ministre désire accéder à la présidence il serait bon de voir ce qu’il donnerait comme chef du gouvernement. Y renoncer trop explicitement révèle une fâcheuse préférence pour la promesse des biens à venir, et une regrettable reculade face aux échéances.

En clair : celui qui disposant d’une large majorité parlementaire en 2006 repousse à 2007 l’hypothèse du redressement de la France laisse à entendre que la rupture promise restera dans les limbes.

C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. S’y dérober n’est pas digne de l’art…

Or, contrairement peut-être à une partie de l’école constitutionnaliste attachée aux déclarations des droits, aux garanties et aux protections juridiques il nous semble que la question fondamentale n’est ni dans les formes, ni dans les écrits, mais dans les personnes et dans les âmes de ceux qui les gèrent et les interprètent. L’institution du principat a créé l’Empire à Rome sans toucher aux formes héritées de la république, et celles-ci se sont même transportées à Constantinople au IVe siècle. Il n’y avait pourtant plus rien de commun entre les modes de gouvernement.

Il suffirait de peu de chose, formellement, pour rendre à la France un mode de gouvernement honorable et stable,
- peut-être simplement la réforme de l’article 7 instituant l’élection du chef de l’État au suffrage universel ;
- peut-être la renonciation à certains faux principes, comme celui de péréquation entre les régions inscrit dans la fausse décentralisation de 2003 ;
– ou même l’abrogation de la référence au préambule funeste de la constitution de 1946, préambule qu'une doctrine douteuse du Conseil constitutionnel a cru bon d’incorporer au fameux « bloc de constitutionnalité ».

Mais il faudrait surtout une opinion plus vertébrée, il faudrait un peuple et des moyens d'informations capables de répondre par exemple à la scandaleuse déclaration du 10 mais, d’un certain Chirac qu’en effet une certaine position sociale et politique oblige son détenteur à plus d’honorabilité, de probité et de franchise que n’en manifeste notre lamentable classe politique.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) On doit se reporter à ce sujet aux travaux de Beau de Loménie et à la remarquable critique de M. Gilbert Comte dans Le Monde du 10 janvier 1978.

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