Revenir à la page d'accueilAccéder au Courrier précédent Utiliser le Moteur de recherche Accéder à nos archives
Accédez au nouveau site de l'
Logo de l'Insolent

BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MERCREDI 12 JUILLET 2006

POUTINE EST-IL EN TRAIN DE RÉUSSIR ?

Poutine et BushPoutine à Pékin

Même à 74 dollars le baril de pétrole brut il reste encore beaucoup de chemin à accomplir.

Bientôt, du 15 au 17 juillet, le sommet du G8 se tiendra à Saint-Pétersbourg, et tout sera probablement fait, afin de donner au monde le sentiment que la Russie a retrouvé sa place, celle d’avant 1914, dans le concert des nations civilisées.

L’un des critères d’une telle appartenance, depuis 2001 en tout cas, semble être indiscutablement la détermination à lutter, quitte à débattre des moyens, contre l’islamo-terrorisme. S’il en était besoin, les 183 morts victimes des attentats de Bombay du 11 juillet rappelleraient à nouveau aux insouciants, à la fois, le caractère mondial de cette menace et l’impossibilité d’en faire abstraction.

D’un tel point de vue, malgré ses divergences avec les États-Unis à propos de la guerre d’Irak, Moscou n’a guère le choix. La Fédération de Russie s’est engagée depuis 1999 dans le Caucase dans un des conflits les plus sanglants de ce début du XXIe siècle. Et elle se trouve opposée, au titre de la conservation de ses frontières avec un mouvement indépendantiste ayant progressivement dérivé vers une affirmation radicale du Djihad, les Tchétchènes étant un des peuples les plus récemment convertis à l’islam.

Rappelons à ce sujet que si la Russie cédait sur le principe dans le Caucase du nord, ce seraient 88 territoires et républiques autonomes de la Fédération qui pourraient se considérer comme en droit de revendiquer leur indépendance et que d’autre part, l’accès à la mer Caspienne et à ses importantes réserves d’hydrocarbures serait compromis.

Or, dans la nuit du 9 au 10 juillet s’est produit un événement de la plus haute importance, sans doute un peu moins futile que la confrontation podosphérique gallo-romaine. Le monde l’a appris le lendemain par la bouche de M. Nikolaï Patrouchev, directeur du FSB c’est-à-dire chef des services spéciaux. C’est sans doute une grande victoire russe puisqu’il s’agit de l’élimination de Chamil Bassaïev, probablement le plus redoutable des dirigeants tchétchènes.

Signalons que cet homme de 41 ans, ancien numéro 2 de l’éphémère république indépendante avait été inscrit par les États-Unis depuis 2003 sur la liste noire des principaux terroristes. À son singulier tableau de chasse figure un nombre impressionnant d’opérations dont la plus sanglante fut celle de la prise d’otages de l’école de Beslan de septembre 2004 : plus de 330 morts, dont plus de 180 enfants, les forces d’interventions du ministère de l’Intérieur carnage n’ayant par ailleurs jamais été préparées à des situations aussi monstrueuses.

Bassaïev est ainsi le 3e, et peut-être le dernier des chefs connus de la guérilla tchétchène, éliminés par l’armée et les services secrets russes. Il tombe après Aslan Mashkadov (ancien président de la république indépendantiste en 1998, tué en mars 2005) et Khalim Saïdoullaïev son successeur (tué en en juin 2006).

Notons cependant, au bout de 7 années d’une guerre impitoyable, déclenchée en décembre 1999 dans le but de liquider les djihadistes du Caucase, Vladimir Vladimirovitch Poutine lui-même, dont la carrière politique s’est construite autour de cette lutte (1) doit reconnaître : « Nous savons que la menace terroriste est encore très grande. »

Ceci survient 40 jours après la liquidation en Irak du principal dirigeant islamo-terroriste Abou Moussab al-Zarkawi le 8 juin. De la sorte, la mort de Bassaïev pourrait éventuellement, si les Russes et les Occidentaux étaient vraiment en accord, se voir saluée comme représentant une nouvelle défaite infligée à des réseaux qui s’affirment eux-mêmes solidaires. On doit savoir, du reste, que la guerre du Caucase, le conflit du Cachemire et d’autres enjeux plus obscurs en Afrique sont couramment présentés par les sites et médiats sympathisants de l’islamo-terrorisme comme plus importants même que ceux auxquels les Européens de l’Ouest sont habitués, dans le Proche-Orient arabe et singulièrement en Palestine.

La réalité est cependant plus complexe.

La disparition de l’Union soviétique en 1991 avait provoqué une éclipse de 10 ans des ambitions de l’État russe : c’est, en grande partie inconsidérément d’ailleurs, la Fédération de Russie elle-même qui avait provoqué la liquidation de « l’Union » (2). Mais dès 1998, avant même l’ascension fulgurante de Vladimir Vladimirovitch Poutine la nouvelle politique de Moscou avait été annoncée sous le nom de Triangle stratégique (3) Russie-Inde-Chine.

Nous nous souvenons aujourd’hui encore, à vrai dire avec amusement, du scepticisme indifférent de la presse parisienne, et notamment du Figaro. Cette politique a non seulement servi de ligne directrice constante à travers les évolutions de la politique intérieure du Kremlin, mais elle est parvenue à rapprocher Pékin de New Delhi. Elle s’est concrétisée depuis lors de manière systématique, aboutissant notamment à la constitution et au développement de l’Organisation russo-chinoise de Shanghai, créée manifestement au début 2001 (4), en théorie contre l’islamo-terrorisme (5) et en pratique pour écarter d’Asie centrale les États-Unis et leurs alliés turcs.

L’existence de confrontations incontestablement parallèles avec l’islamo-terrorisme n’empêche donc pas, entre Russes et Américains, le développement d’une rivalité féroce et d’une méfiance réciproque.

Quand Poutine parle des Etats-Unis, il les désigne, de façon assurément peu obligeante, comme le « Camarade Loup ». En contrepartie, toute une frange d’observateurs « atlantiques » multiplie les rappels et mises en garde contre les connivences du Kremlin avec un pays comme l’Iran que la diplomatie russe n’a pas hésité à inviter à la récente conférence de Shanghai etc.

Vu d’occident, on peut donc se demander à quoi joue le gouvernement de Moscou.

Manifestement, Pékin a été choisi pour partenaire, en fonction d’une évaluation de sa potentialité hostile à l’encontre des Américains. Or, non seulement cette hypothèse va au-delà des désirs actuels de l’équipe dirigeante communiste chinoise, mais, de sur croit, la Chine représente une menace beaucoup plus grave pour la Fédération de Russie, notamment en Extrême-Orient, que pour les États-Unis, et par ailleurs, depuis 1978, les couches dirigeantes chinoises considèrent en général beaucoup plus le modèle américain que le contre-exemple russo-soviétique.

D’autre part, si la mise en ordre réalisée par Poutine depuis 2000, se déroule de manière plus ou moins correcte, et notamment si les salaires des fonctionnaires sont payés, le prix élevé du pétrole et des matières premières en est l’un des facteurs le plus probants. On peut certes se représenter les pressions persistantes sur le marché mondial des hydrocarbures comme l’œuvre systématique des agents du FSB. On peut les imaginer manœuvrant à la fois les agitations d’Ugo Chavez au Venezuela en en Amérique latine, dans les coulisses du terrorisme islamique dans certains États, voire, pourquoi pas, les conflits interrégionaux du Nigeria, faire en sorte, par ailleurs, que les capacités de raffinage des compagnies pétrolières occidentales demeurent insuffisantes. Mais une telle hypothèse conspirationniste, s’il ne faut pas l’écarter totalement, et à supposer même qu’elle soit à mettre au crédit du génial Vladimir Vladimirovitch ne suffirait pas à redresser durablement toute une nation.

Le point important à considérer dans les années à venir ne sera pas uniquement la logique du comportement extérieur de l’État russe et le degré de son rapprochement avec l’occident, ce sera d’abord sa santé intérieure, son évolution économique, sociale, démographique et culturelle en liaison avec la situation politique.

Il serait certes oiseux de prétendre qu’en toutes choses, les pays occidentaux, Japon compris, seraient en toutes circonstances des « modèles ». Sur les 7 autres pays du G 8 il y a certainement des critiques à faire, dont la France n’a pas le monopole. De même, le concept à la mode de « bonne gouvernance » ne veut pas dire grand-chose dans l’absolu.

En revanche, le discours officiel dominant actuellement en Russie a de quoi inquiéter quand par exemple on y constate vis-à-vis du communisme et de la période stalinienne une complaisance renouvelée. Nous connaissons l’écho de ces mots d’ordre en occident, où il est de bon ton de renvoyer « dos-à-dos » le communisme et le « système capitaliste » ; on met ainsi artificiellement un signe égal entre
– d’une part les affaires plus ou moins scandaleuses révélées d’ailleurs par la presse (si sotte soit-elle) en occident ;
– et, d’autre part les crimes monstrueux, commis et cyniquement niés par les régimes totalitaires.

Cette rhétorique d’État se couvre désormais à Moscou d’un manteau « patriotique russe ». Comme si le régime soviétique, dans son ensemble, de Lénine à Andropov n’avait pas été essentiellement destructeur de la Russie !

On n’en finirait pas de recenser les contrevérités qui fleurissent à nouveau, à commencer par l’écœurante et mensongère dialectique « antifasciste » (6), qu’on nous a servie sous la signature de Vladimir Vladimirovitch dans le Figaro en mai 2005 pour le 60e anniversaire de la victoire stalinienne dans la « grande guerre patriotique. » Ne parlons même pas de l’étonnant et incohérent propos « eurasiatique » destiné sans doute à transformer les Russes en restaurateurs de la Horde d’Or mongole.

Des mots, dira-t-on.

N’oublions pas que le communisme est d’abord une dialectique (7).

Pratiquement, le retour à un tel discours nous semble préoccupant pour l’avenir. Il faudra sans doute encore de longues années pour que la confiance se rétablisse : de ce point de vue, Vladimir Vladimirovitch Poutine même s’il peut se féliciter de disposer de 4 fois plus de réserves pétrolières et gazières que ses 7 interlocuteurs occidentaux réunis, même si le prix du pétrole brut est aujourd’hui de 74 dollars le baril, n’a pas encore tout à fait réussi. Et, son deuxième et dernier mandat présidentiel expirant constitutionnellement en 2008 (8) il faudra encore à ses successeurs beaucoup d’efforts pour y parvenir, dans l’intérêt de la Russie, et dans l’intérêt général de l’Europe.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) À l’instar de l‘ascension de feu Milosevic dans la Yougoslavie de 1989 ?
(2) Sans tenir compte du caractère très artificiel du tracé de nombreuses frontières tracées par Staline et Khrouchtchev.
(3) Notamment dans le discours prononcé le 21 décembre à New Delhi par Evgueni Primakov, alors Premier ministre remplaçant Boris Ieltsine resté à Moscou pour raison de santé à l’occasion de ses entretiens avec le Premier ministre nationaliste hindou Atal Behari Vajpayee.
(4) Et donc bien avant le 11 septembre.
(5) La Chine considère que la rébellion des Ouïgours du Sin-kiang est inspirée par l’islamisme et encadrée par l’armée turque.
(6) Évidemment oublieuse du fait que l’URSS fut l’alliée de Hitler entre 1939 et 1941, que la rupture de l’alliance ne fut pas du fait de Staline mais de son allié, et que les conquêtes réalisées dans la période d’alliance ont été confirmées à Yalta.
(7) et il est même d'abord une trahison de la philosophie dialectique de Hegel et de Héraclite (cf. Sociologie du communisme Tome II).
(8) Avec beaucoup de bon sens il écarte l’idée de modifier la Constitution.

• ...Pour commander le livre procès du Maréchal Pétain

• ... NOUVEAU : vous pouvez commander en ligne sur la page du catalogue des Éditions du Trident

Revenir à la page d'accueil Utiliser le Moteur de recherche Accéder à nos archives
• Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis • en souscrivant un abonnement payant