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Les nouvelles dramatiques des derniers jours ont fait passer au second plan des préoccupations médiatisées les soubresauts de l'Eurotunnel. Sans que le drame mondial nous soit indifférent, essayons quand même de réparer quelque peu cet oubli.
Car c’était vraiment une belle idée, et ce fut une belle réalisation technique, que ce tunnel sous la Manche. Il a notamment permis à la cité de Londres de postuler, enfin délivré du handicap de son insularité britannique, tout en conservant les avantages d'une métropole maritime, à un statut de capitale de l’Europe.
Il y a maintenant un peu plus de 20 ans, en février 1986, François Mitterrand signait le traité de Cantorbéry aux conditions fixées par Margaret Thatcher. Cette opération, entièrement décidée par les politiques, serait réalisée sans un centime de financement public.
Dans la pratique ce furent au départ plus de 700 000 petits porteurs, dont 80 % d'épargnants français, qui souscrivirent le capital social. Mais très vite les imprécisions du dossier d’État se sont retrouvées dans les comptes. Pour 1,7 milliard d’euros de fonds propres, la dette de l’entreprise est aujourd’hui 9 milliards, et la charge des intérêts qui en résultent représente quelque 60 % du chiffre d’affaires annuel : 500 millions d’euros pour 800 millions de recettes.
Bien entendu dès le départ, le coût des travaux avait été sous-estimé. (1). On avait parlé de 49 milliards de francs : on a atteint 105 milliards. Mais indépendamment même de cette impasse, hélas coutumière lorsque les entreprises travaillent pour l'État ou les collectivités locales, la première « erreur » a bien été de vouloir financer un projet à aussi long terme par moins de 20 % de fonds propres. Que la communauté financière et les journaux spécialisés n'aient pas tiré la sonnette d'alarme sur ce point nous semble révélateur.
Corrélativement les annonces mirifiques prévoyant 30 millions de voyageurs et 15 millions de tonnes de fret, ont été atteintes à concurrence de 22% seulement pour le trafic de voyageurs (6,8 millions de personnes transportées) et 10 % pour le trafic de marchandises (1,5 million de tonnes).
L’exercice 2005 fait apparaître par ailleurs un recul assez régulier des 5 dernières années, de 944 millions de recettes en 2000, à 789 millions en 2004 à peine redressé à 793 millions. Et, en face, on évalue à 810 millions le montant annuel des pertes…
Et une telle société serait amenée à déposer son bilan ? Pas possible ! n’est-ce pas.
Il est donc assez consternant, mais non surprenant, on finit par avoir l’habitude, de lire les commentaires convenus des ministres et des communicateurs. Ainsi M. Perben prétend-il, avec 20 ans de retard, préserver « les droits des petits actionnaires » alors que depuis plusieurs années leurs titres ne valent plus rien. M. Patrick Ollier président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale juge qu’il existe « les moyens d’un accord » entre la direction et les créanciers. M. Ollier « n’ose pas imaginer que quelqu’un souhaite un dépôt de bilan. »
Aujourd’hui à la tête d’Eurotunnel, M. Jacques Gounon est présenté (2) comme un négociateur redoutable, un brin « manipulateur ». Ce polytechnicien de 53 ans, passé par tous les rouages de l’économie mixte à la française, se targuait en 2005 d’une marge opérationnelle de 55 % – « comme une société de luxe » disait-il alors. Aujourd’hui, dans la rude renégociation de la dette qui l’oppose à un consortium bancaire (ARCO) représentants des créanciers obligataires de l’entreprise, où son plus coriace interlocuteur est la Deutsche Bank, il met en avant la question du devenir de ses 2 300 salariés.
Il est vrai que l'on a inscrit dans l'opinion l'idée que la préoccupation prioritaire doit être, coûte que coûte, le maintien de l'emploi. Cet axiome a été inscrit dans la législation française à partir de la fameuse loi Badinter du 25 janvier 1985 sur les procédures collectives. Et tout cela répond bien à la puissance et au primat de l'émotionnel, dont Jules Monnerot a fort bien démontré qu'il était un des plus puissants ressorts du communisme – et il l'est à l'évidence aujourd'hui encore.
Mais dans le cas de figure le raisonnement technocratique et social-démocrate est particulièrement inadapté à al situation, plus encore qu'à l'accoutumée.
Concrètement, en effet, quelle que soit la solution juridique à laquelle on parviendra, le tunnel ne sera pas fermé et son personnel ne sera pas licencié.
La première préoccupation devrait être ici celle du demi-million de Français, plus 150 000 ou 200 000 épargnants étrangers, qui ont fait confiance à cette entreprise. Ils se sont engagés dans cette aventure sur la base des informations qui leur étaient transmises et ils ont perdu entre 80 et 90 % de leur investissement depuis 1987 (ne parlons même pas du pic de plus de 13 euros en 1989), le dernier cours étant de 0,44 euro au 12 juillet 2006.
On se souvient d’une assemblée générale de 2004 où, – fait exceptionnel dans les annales du capitalisme français – les actionnaires individuels, — largement regroupés dans divers groupes de défense des actionnaires minoritaires dont celui du journaliste boursier Nicolas Miguet, – avaient renversé la direction en place en nommant à la présidence Jacques Maillot. Le fondateur de Nouvelles Frontières annoncera sa démission en février 2005.
Aujourd’hui les technocrates considèrent qu’ils ont repris les choses en main et qu’il va pouvoir être possible de s’entendre avec les banquiers : c’est certainement très raisonnable. Sur le principe du moins.
Mais, dans les faits, il serait très peu raisonnable, en revanche, de donner, une fois de plus, le sentiment qu’en France les actionnaires, c’est-à-dire les épargnants puissent être systématiquement et impunément grugés.
Il serait très dommageable que le capital privé, sans lequel le tunnel n’aurait pas vu le jour, passe, une fois de plus, pour quantité négligeable, méritant à peine les larmes de crocodile des politiciens.
Au moment où une embellie fiscale de 3 milliards d’euros tombe dans l’escarcelle de l’État le plus spoliateur du monde industriel, grâce aux bons résultats de l’impôt sur les sociétés, on ne perdra jamais de vue que c’est l’épargne et l’investissement qui, combinés avec la qualité du travail, assurent la prospérité des économies.
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) On se trouve en présence de la plupart des ingrédients qui entrèrent au départ dans l’affaire de Panama.
(2) cf. Les Échos du 13 juillet. ...Pour commander le livre Harmonies économiques ...
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