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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ

MARDI 10 OCTOBRE 2006

LE DÉCLIN DES MÉTIERS N'EST PAS UNE FATALITÉ

Juppéartisan

Observons-en d'abord les causes franco-françaises.

Dans l'intéressante lettre d'informations "Faits et Documents" (1), je relève ces chiffres à la fois précis et inquiétants sur "la fin de l'artisanat d'art" en France :

"La France ne compte plus que 14 gantiers (fabrication de gants), 27 dinandiers (travail du cuivre et de l'étain), 51 corsetiers, 39 façonniers de cravates et d'écharpe, 7 fabricants de tapis à la main, 22 fabricants de monnaies et médailles, un fabricant de perles, moins de cent souffleurs de verre, deux éventaillistes, quelques brodeurs et une poignée de plumassiers".

On pourrait multiplier les exemples et les étendre à de nombreux métiers de tradition.

Cette réalité mérite plus que des commentaires, mieux que de simples déplorations, autre chose que des accusations à l'encontre des méchants concurrents étrangers. Dans nos pays de vielles traditions artistiques, les métiers, – tous les métiers – se sont trouvés dévalorisés.

Sans appartenir vraiment aux merveilles de la culture européenne, la pantoufle charentaise de Nontron n'échappe pas à la règle et disparaît elle aussi. De loin en loin on entend des voix intelligentes s'élever, proposer une revalorisation du travail manuel, annoncer aussi ce que les politiciens appellent des mesures. Un ardent porte-parole de cet effort volontariste fut, par exemple, un temps, Lionel Stoléru. Cet homme politique atypique, ayant oscillé entre gauche et droite avait pourtant publié en 1969 un livre d'orientation sensiblement différente, L'Impératif industriel puis il fut, de 1974 à 1978, secrétaire d'état chargé de la condition des travailleurs manuels (2). Après avoir été l'apologiste des secteurs dits de pointe, il se fit avec talent le chantre du travail manuel artisanal revalorisé.

Or, dans la pratique, les métiers d'art ne sauraient prospérer qu'en articulant un certain nombre de conditions, toutes importantes. La première semble sans doute l'existence d'une chaîne de transmission des savoirs dont il est un peu rapide de prétendre dater la disparition définitive simplement et seulement de 1791, date convenue à laquelle on rattache la fin des corporations. On doit rappeler ici que ces vénérables institutions remontant à une réglementation d'État promulguée par saint Louis au XIIIe siècle, plusieurs fois repensée, étaient au bout de leur cycle historique en 1776 quand Turgot entreprit de bousculer leur agonie. De la sorte la mesure aberrante n'est pas la Loi D'Allarde supprimant leurs monopoles au printemps 1791, mais la Loi Le Chapelier de l'automne de cette même année prétendant interdire toute forme de reconstitution des jurandes et métiers, et pour tout dire toute forme d'association. Entre-temps le roi Louis XVI était revenu captif de Varenne, et l'interdit révolutionnaire avait déployé sa chape de plomb.

Et c'est en effet, en partie, des conséquences et des développements de cette loi Le Chapelier, qui "interdisait la reconstitution", dont les métiers ont crevé doucement en France. L'étatisme s'est entièrement substitué aux libertés professionnelles, empêchant, détruisant, persécutant l'apprentissage, ce qui a fait, depuis le décret Boulloche de 1959 que la chaîne de transmissions et d'enrichissement des savoirs est accaparée par l'État, avec le soutien des idéologues des syndicats de l'enseignement. Ces idéologues diffusent volontiers une image repoussante de l'entreprise, et singulièrement, de l'artisanat.

Les raisons philosophiques n'en sont pas absentes.

Les fausses élites ne sont pas non plus exemptes de responsabilités autant par l'absence d'éducation artistique que par mépris du travail de qualité.

Mais il faut ajouter à cela le poids des monopoles sociaux, la dureté de leurs contentieux, la méfiance fiscaliste : les mécanismes des caisses sociales ont pour effet de tuer les jeunes pousses entrepreneuriales, particulièrement les plus petites, entre leur 3e et leur 5e année d'existence.

Au bout du compte tout est fait en France pour décourager, déprimer et économiquement pour appauvrir les classes moyennes et les entrepreneurs individuels que sont les artisans. Ne nous étonnons donc pas du déclin des métiers d'art.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) "Faits et Documents" lettre d'informations confidentielles et souvent sulfureuses, publiée par Emmanuel Ratier (BP 254-09 75424 Paris Cedex 09 tel 01 40 16 80 92) n° 222 du 1er au 15 octobre page 9
(2) Il fut ainsi l'inventeur en 1977 de la prime au retour des travailleurs immigrés.

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