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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ
VENDREDI 3 NOVEMBRE 2006
LES PARADOXES DE LA NÉGOCIATION EURO-TURQUE
Les points politiques demandés aux Turcs sont purement formels et superficiels et cependant ils braquent.
Les 5 et 6 novembre, sous présidence finlandaise, l'Union européenne va encore envisager, se réunissant avec les dirigeants turcs, d'essayer de renégocier une marche de la Turquie vers l'adhésion. Significativement, ces négociations se trouvent engluées dans un paradoxe totalement paralysant, qui résulte de la contradiction suivante :
1° si l'on considère l'Europe comme un marché commun, objet du traité de Rome de 1957, sa vocation initiale, la Turquie lui est, dans la pratique, à peu près définitivement agrégée depuis son adhésion à l'Union douanière en 1993, sous l'impulsion de M. Juppé alors ministre français des Affaires étrangères dans le gouvernement Balladur exerçant la présidence de l'Union et forçant le vote de parlement de Strasbourg.
2° si, au contraire, on prête à l'Union européenne instaurée par le Traité négocié à Maastricht en 1991, une vocation politique et un projet identitaire, l'État turc ne lui fera, et ne pourra lui faire, aucune vraie concession, ni sur le terrain des droits de l'Homme, ni sur celui de la liberté religieuse, ni encore sur les droits de propriété, ni même ponctuellement à propos de Chypre.
En mai 2005, une frange non négligeable de l'électorat français a voulu voter à la fois "non à la Constitution", c'est-à-dire à la ratification du projet de traité constitutionnel, et "non à la Turquie".Ce non français, comme le non néerlandais, bloque actuellement l'évolution vers une Europe politique. En cela, il a pour conséquence de ramener l'Europe vers la conception initiale du traité de Rome. Dans ce cas, la participation d'Ankara pose très peu de problèmes, à peine ceux apparus avec le Marché unique, vaguement des problèmes de normes sanitaires et surtout ceux résultant des politiques de subventions. Et dans un tel cadre, les points politiques demandés aux Turcs sont purement formels et superficiels. Ils agacent. Ils braquent. Ils ne servent qu'à retarder et à gâcher la fête.
Qu'on en juge.Président du Parlement européen, M. Josep Borrell, vient ainsi d'adresser au gouvernement turc, des recommandations sévères l’enjoignant d'ouvrir les ports et aéroports turcs aux navires et avions chypriotes, de respecter et se conformer aux critères de Copenhague et d'appliquer le protocole d'Ankara juillet 2005 aux Chypriotes dans le cadre de l'Union douanière étendue aux 10 nouveaux membres.
"Le Parlement Européen ne fera pas de bradages quant au respect des critères, des valeurs et des principes fondamentaux, dont font partie les relations de bon voisinage et le respect du droit international. Il est impossible d'accepter l'adhésion d'un pays qui ne respecterait pas ces conditions, et cela a été signalé clairement à la Turquie", a déclaré M. Borrell le 2 novembre, affirmant aussi que "le Parlement européen, est vigilant et a une attitude très critique vis-à-vis de la Turquie, à qui il a été notifié à maintes reprises son devoir de se conformer aux principes de l'Union Européenne et de remplir les conditions d’adhésion".Le même jour un collaborateur de Recep Tayyip Erdogan premier ministre turc, tout en reconnaissant "qu’infliger une rebuffade au pape est hors de question" (1), révélait qu'aucune date n'était encore prévue pour une rencontre entre le chef du gouvernement et Benoît XVI, qui sera pourtant en visite en Asie Mineure entre le 28 novembre et le 1er décembre : "Les officiels des deux parties travaillent toujours sur le programme".
Par ailleurs les conclusions du rapport annuel de La Commission européenne sur la Turquie ne sont pas encore connues. "Le statu quo concernant le protocole d'Ankara sera forcément reflété dans ce rapport", déclare-t-on. Le document officiel de travail semble très peu complaisant pour Ankara. "Le rythme des réformes s'est ralenti. En 2007, il sera important d'entreprendre des efforts importants pour étendre l'élan des réformes dans toute la Turquie".Si la Commission européenne reconnaît certains progrès ponctuels, elle enregistre la persistance ou l'aggravation de nombreux problèmes comme la liberté d'expression et l'article 301 du code pénal turc, qui permet de poursuivre en justice des dizaines de journalistes et écrivains, dont le Prix Nobel de littérature 2006, Orhan Pamuk.
Je ne prétends aucunement résoudre ici ce paradoxe et cette contradiction. Je me contente de les souligner, sans m'en satisfaire. Il est devenu clair en 2005, que les Français, dans leur majorité, ne sont pas prêts à accepter une logique fédérale européenne. Ils l'ont prouvé, Chirac en tête qui, n'y ayant jamais cru lui-même, a été le plus mauvais vendeur du projet de constitution hélas trop peu compréhensible concocté par Giscard d'Estaing.
Tout cela va cependant imposer de nouvelles décisions et de nouveaux choix, auxquels l'opinion hexagonale n'est pas du tout préparée. Depuis des années, on avait pris l'habitude de renvoyer à Bruxelles la balle, la responsabilité des directives supposées douloureuses. Cela risque de devenir de moins en moins possible, y compris s'agissant de la libre circulation des personnes.
Pendant ce temps-là, l'État turc avance ses pions face à une Europe démotivée et désarticulée. L'armée turque a pris pied au Liban, c'est-à-dire, pour la première fois depuis 1918 dans ce qui fut son empire, ce que nous nommons Proche-Orient. En même temps l'État-major turc observe la situation en Irak où l'on commence à parler (2) de la date du retrait des 150 000 soldats américains. Le président de la république irakienne, [le dirigeant kurde] Jalal Talabani, en visite à Paris le 2 novembre, estimait ce délai à 2 ou 3 ans : qui donc leur succédera ?
Rappelons que si la Turquie entre dans l'Union européenne, ses frontières seront supposées celles de l'Europe : cette dernière est-elle prête à intervenir en Irak ?
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) cf. Le Monde 3 novembre
(2) AFP du 3 novembre à 0 h 58 :
"M. Chirac pour sa part a "rappelé qu'aux yeux de la France, il est important de fixer une perspective de retrait" pour les forces internationales, sans évoquer le terme de calendrier, a déclaré le porte-parole de l'Élysée Jérôme Bonnafont."
Qu'est-ce à dire exactement ?
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