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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ LUNDI 4 DÉCEMBRE 2006
VILLEPIN, CLEARSTREAM et DON BASILE
Les marchands de réputations articulent sans pudeur leurs certificats sur des mécanismes judiciaires frelatés
À en croire Le Monde (1) l'audition de M. de Villepin comme "simple témoin", cela change tout. L'agence d'informations d'État va encore plus loin : "le volet politique de Clearstream vacille" titre l'AFP (2). Comme personne ne comprend de cet imbroglio la nature, du délit son objet, comme le registre dominant relève de la fadeur administrative et des euphémismes judiciaires, l'étendue du changement paraît elle aussi fort problématique.
La vérité semble bien être que toute la Chiraquie s'entre épie, en attendant de s'entre tuer.
En gros, en très gros, voici ce que j'ai cru comprendre. Clearstream, certes, ce n'est pas une seulement une virtualité romanesque : c'est une chambre de compensation internationale. Elle est absolument légale. Mais les brillants technocrates de Bercy ne la contrôlant pas, sa réputation est infâme dans leur étrange et stérile milieu. Étant luxembourgeoise, elle n'a pas sa place au paradis jacobin et chauvin de l'antiracisme d'État. Elle ne commet aucun crime, c'est d'autant plus suspect, etc.
Créé en janvier 2000 par la fusion de "Cedel-International" et de la société de clearing de la bourse de Francfort cet organisme semble a priori très respectable : il n'importe ! Sa brève apparition dans l'univers mental des Français restera attachée à une sorte très particulière de scandales régimistes dont l'Histoire est connue.
Bref nous sommes invités à n'y rien comprendre, comme nous ne comprenons rien au Collier de la Reine du XVIIIe siècle, comme nous avons oublié l'affaire Humbert, si paradigmatique de la IIIe république (3), ou en général à l'affaire de Panama (4).
Il faut reconnaître que dans la mentalité dominante, au-delà des frontières de l'Hexagone, nous pensons être exposés à rencontrer de l'argent sale. Et cet argent se révélera d'autant plus compromettant qu'il proviendra de l'Hexagone lui-même, où les politiciens sont pourris.
Nous sommes dans Don Basile et son grand air de la calomnie.
"On" a donc fabriqué des listes. Elles paraissent absolument improbables, elles désignent des politiciens supposés compromis. Tous ont, il est vrai en commun d'avoir, au moins une fois dans leur vie, serré les mains moites d'un Chirac, d'un Juppé ou d'un Villepin. On en conviendra : cela est horriblement salissant et compromettant.
Nous croyons, en France, avoir accompli, en 1789, en 1793, en 1830, en 1848, en 1870, en 1940, en 1944 et en 1958, pour ne rien dire de 1968, un certain nombre de révolutions plus ou moins heureuses, plus ou moins sanglantes.
En fait, la France est passée, sans s'en rendre compte, d'une élite artificielle mais brillante encagée à la Cour à une élite caricaturale pataugeant entre les grillages d'une basse-cour.
La dégénérescence ne s'est pas accomplie en un jour. Aux rumeurs furtives, littérairement si pittoresques, et politiquement si stupides, du petit duc de Saint-Simon, ont succédé désormais les caquetages creux et sonores de la république. Ce régime faisandé laisse ses valets ricaner aux prétendues compromissions des uns, ceux qui ont cessé de plaire, sans mesurer combien il pue du bec lui-même, et combien la blancheur sa face blafarde n'a d'égale que la noirceur de son passif et la grisaille de sa bureaucratie. Et il se révèle incapable de mesurer surtout que le public ne s'y trompe guère.
On l'a observé dans l'affaire Juppé de 2004.
Le fait même d'avoir touché aux bizarreries financières de la Chiraquie devrait suffire à disqualifier définitivement, dans l'opinion des citoyens, tout décideur public.
Eh bien pas du tout. L'honneur d'un homme se rattrape en terme d'éligibilité républicaine. Vingt-quatre heures après la fin de son inéligibilité, un homme de l'État redevient présentable. Une ligne mal rédigée par la paperasse de la magistrature syndiquée tient lieu de qualité à des gens qui en sont dépourvus. Après quelques mois de purgatoires, ils redeviennent présidentiables, éligibles à Bordeaux en 2006, candidats à l'Élysée en 2012, et dès 2007 chefs de l'opposition à Sa Majesté Ségolène Ière. La fabrication d'affaires virtuelles salissant virtuellement tous leurs concurrents, scandales aussi incompréhensibles et embrouillées que Clearstream : elle peut même conforter leurs plans.
Ainsi les marchands de réputations articulent sans pudeur leurs certificats sur des mécanismes judiciaires frelatés. Chacun le mesure sourdement. Il serait temps de le dénoncer clairement.
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) en date du 3 décembre
(2) dépêche du 2 décembre à 15 h 28
(3) Scandale républicain par excellence, l'affaire Humbert reposait sur l'hypothèse d'un prétendu testament mystique dont se réclamèrent pendant des années les époux Humbert, – eux-mêmes protégés par le gratin politico-judiciaire, et philosophique, du Régime, – pour emprunter des sommes considérables qu'ils ne rendirent jamais. Ce "testament" allégué n'avait jamais existé, l'héritage encore moins. Mais une procédure démentielle, incompréhensible et feuilletonesque, fit croire à la réalité de l'objet. Cette affaire caractéristique mérite d'être visitée à la lumière de Beau de Loménie ou de Dutrait-Crozon.
(4) Où l'on a stigmatisé les "chéquards" parlementaires en oubliant l'escroquerie fondamentale de la compagnie fondée par Ferdinand et Charles de Lesseps. Pour comprendre l'histoire véritable du "Panama" il faut absolument lire le petit livre de Bouvier dans la salubre collection Archives Julliard-Gallimard.
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