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BULLETIN EN TOUTE LIBERTÉ   LUNDI 11  DÉCEMBRE 2006

NOUVEAUX PARADOXES DE LA GUERRE D'IRAK

Cela ne fera guère avancer la démocratie et les droits de l'Homme, ni probablement ceux de la femme ; mais cela a déjà beaucoup fait pour aboutir à un prix très élevé du pétrole.

Qu'on me permette de commencer par un dialogue entre Napoléon et Talleyrand.

L'empereur salue son ministre devant le Conseil, et lui lance : "Ah ah ! Monsieur le prince de Bénévent, vous ne m'aviez pas dit que vous étiez cocu". Et le diable boiteux lui répond : "Cocu, Sire, je le savais. Mais ce que j'ignorais jusqu'à maintenant, c'est que ceci ajoutât à la gloire de Votre Majesté Impériale et royale".

Ainsi donc, on vient d'apprendre, la semaine dernière, que les Américains ne sont officiellement "pas en train de gagner la guerre en Irak".

À vrai dire nous en avions quelque intuition, n'étant ni hostile ni servile vis-à-vis des Etats-Unis, lesquels demeurent les alliés militaires de l'Europe, et aux côtés desquels l'élite de l'Armée française est engagée depuis 2001 en Afghanistan.

L'annonce de cette situation, assurément peu confortable, a été faite au congrès de Washington le 5 décembre par M. Robert Gates. Le futur ministre (1) de la Défense vient d'être désigné par le président Bush, et il est en train d'obtenir l'assentiment des Chambres (2) : c'est au cours de ses entretiens avec une commission parlementaire qu'il a fait cette déclaration. À Paris, Le Monde, le 6 décembre l'a reproduite en vedette, non sans une sorte de jubilation, mais avec une certaine retenue. Mais c'est au contraire triomphalement que Libération, le 7 décembre titrait sur toute sa première page, à propos de cette déclaration : "L'Aveu".

Ah comme la rédaction soixante-huitarde fatiguée de ce quotidien exsangue se retrouve de la sorte une nouvelle jeunesse. Comme en 1973 où la vietnamisation de la guerre décrétée par Kissinger allait conduire à la chute de Saïgon, et aussi à la prise pouvoir par les Khmers rouges au Cambodge, ils vont assister hilares et satisfaits à une nouvelle catastrophe pour les libertés. Des scénarios de ce genre les représentanst de l'intelligence parisienne et du bon goût hexagonal en redemandent assurément.

Jusqu'au dernier moment, pour part, n'étant ni hostile ni servile, j'avoue avoir eu du mal à concevoir que les Américains et les Anglais, nos amis, puissent entreprendre l'expédition d'Irak. Je ne la pensais guère souhaitable.

Quand l'excellent allié turc se défila en mars 2003, elle me semblait dès lors impossible alors qu'elle était irrémédiablement décidée : n'ayant compris rien de tout cela, je ne suis assurément pas un spécialiste, je m'incline donc par avance devant ceux qui savent comment elle va se terminer, et sans vraiment les admirer je reste épaté par leur culot de prévisionnistes.

Il faut quand même se souvenir de l'incidence de ce vote imprévu du parlement d'Ankara, qui vit alors la conjonction de la fraction la plus islamiste du parti AKP au pouvoir et des kémalistes.

Cette défection turque a changé radicalement la face de la guerre. L'infanterie des Anglo-Américains demeure insuffisante pour maintenir l'ordre dans cet immense territoire. Ils ont donc été conduits à des concessions majeures à l'égard du parti kurde de Jalal Talabani, aujourd'hui promu au rang de chef de l'État. À terme cela jette les bases d'une partition de ce malheureux pays, créé par le traité de Sèvres de 1920 comme mandat britannique et dont les immenses ressources en hydrocarbues n'ont d'égale que l'immense misère de son peuple.

Si cette partition, actuellement rampante, aura été la conséquence progressive de la présence des Américains en Irak, leur retrait l'accélérera inéluctablement. Mais un tel scénario, qu'un certain gauchisme et un certain gaullisme entrevoient en France avec jubilation, entraînera aussi d'autres conséquences imprévisibles. Elle redistribuera un peu plus encore la situation géopolitique du Proche-Orient, éventuellement au profit de l'Iran, de plus en plus présent en Syrie, pressant en ce moment au Liban, et puissant dans la zone pétrolière du sud de la Mésopotamie, l'antique Chaldée.

Je ne saurais dire que tout cela fasse, dans l'avenir avancer la démocratie et les droits de l'Homme, ni probablement ceux de la femme.

La guerre en vue d'instituer une certaine conception la démocratie dans un pays étranger est une idée encore jeune, peut-être prématurée, probablement un peu naïve. Je ne suis pas sûr, d'ailleurs, qu'elle se révèle très bénéfique. On l'a historiquement vu (3) à partir de la bataille de Valmy et la déclaration de guerre de 1792.

Je constate en revanche que tout cela a beaucoup fait pour aboutir à un prix très élevé du pétrole.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Petite remarque langagière. Nous devrions cesser de traduire le mot "secretary" par "secrétaire". Le mot français est ministre. Le titre de "Secrétaire d'État" à Washington est porté par un ministre des Affaires étrangères. Cette appellation-là ne me paraît justifiée pour cette fonction-ci que dans une optique coutumière, comme nous disons le "chancelier de l'Échiquier" pour désigner le ministre britannique des Finances. Dans le cas des institutions états-uniennes je crois que la translation brutale en français, par nos journalistes, de mot ambivalents, de "government" en gouvernement, ou du mot américain "administration" par son "faux frère" français, me paraît conduire à des contresens politiques profonds.

(2) Cette procédure à laquelle la république française, de type "plébiscitaire", n'est pas accoutumée, me semble mettre en lumière le caractère "consensuel" des institutions démocratiques américaines, trop souvent décrites comme marquées par la "séparation" des pouvoirs.

(3) "On" ce furent d'abord tous les peuples "libérés de l'antique esclavage" par les armées révolutionnaires françaises, et finalement ce fut le peuple français lui-même.

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