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Lors de la publication, en 1992, de deux directives européennes concernant le marché unique des assurances et sa réglementation prudentielle, énonçant explicitement la suppression de tout monopole, beaucoup de Français, lucides quant aux méfaits de la Sécu, ont cru pouvoir crier victoire.
Enfin nos systèmes, mis en place à partir de la Charte du Travail de 1941 et des Ordonnances de 1945, de manière strictement autoritaire, dans le but ou sous le prétexte de garantir la "sécurité sociale", pourraient se réformer, espérait-on, sous l'effet de la concurrence. Leur caractère profondément inégalitaire et disparate, largement destructeur d'emplois, essentiellement illusoire, verraient leurs conséquences corrigées par l'effet du libre choix et de la responsabilité des individus, des métiers, des entreprises, des régions et des familles.
En particulier on pouvait imaginer de la sorte, s'agissant de l'assurance vieillesse, en finir avec la spoliation de l'épargne des classes moyennes et des travailleurs indépendants. L'avancée de la liberté mettrait un terme à la paupérisation des cadres du secteur privé.
Ceci arrêterait également les privilèges arrogants de la haute fonction publique. Cette dernière croit dur comme fer pouvoir émarger elle-même indéfiniment au budget supposé inépuisable de l'État central, sans jamais avoir cotisé à un fond de retraite précis. De la sorte, accapareuse du débat civique, la technocratie répercute sa niaise croyance sur le public.
S'agissant de la maladie, pour laquelle chacun (1) admet aujourd'hui le caractère indispensable d'une assurance dite "complémentaire", la domestication des professions de santé allait, rêvions-nous, cesser de produire ses effets ravageurs, aboutissant d'année en année à un rationnement des soins.
Car, il faut bien se référer fond du sujet.
Disons-le d'emblée : on peut et on doit analyser "la Sécu" en fonction des critères de sa réalité et non des "principes de solidarité", toujours affirmés haut et fort, nullement définis et jamais appliqués.
Sur "la Sécu", étrangement, tout le monde en France énonce des avis péremptoires.
Mais personne, ou presque, ne semble rien savoir de son organisation réelle.
Beaucoup de Français appellent "Sécu", en toute ingénuité, la seule Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés, gestionnaire du fameux régime général. Cette simple confusion, très ordinaire, et très répandue donne une mesure l'opacité de ce système.
D'autres parlent doctement des Urssaf, organismes de droit privé associatif, chargées par un tour de passe-passe juridique du recouvrement de la plus grande partie des cotisations etc.
Non l'URSSAF ne fait pas autre chose que de collecter des fonds et de les transmettre à l'ACOSS, banque centrale du système. L'Urssaf ne gère rien.
Non les travailleurs indépendants et les petits entrepreneurs individuels et familiaux ne bénéficient pas d'une véritable égalité de traitement. Et les organismes conventionnés gérant leurs assurances maladies ne fonctionnent certainement pas comme les caisses publiques. D'autre part, leur intégration au régime général n'aurait aucun sens. Et cependant tout se passe comme si "l'alignement des régimes" représentait l'idéal poursuivi par les fonctionnaires de Bercy.
Disons-le également : on refuse pratiquement aux Français le droit à l'information. Nos compatriotes peuvent, ou plutôt ils pourraient, trouver sur internet les documents interminables et souvent rébarbatifs, retraçant les débats des diverses instances, gérant, ou contrôlant le dispositif, notamment dans le cadre parlementaire. Il existe, cela remonte à la Loi Veil de 1994, un rapport spécial annuel de la Cour des comptes décrivant la situation du système : mais en pratique, personne n'accède à de telles lectures.
Plus significative encore la familiarité du public avec l'identité des dirigeants des organismes est pratiquement nulle. Tout le monde connaît les noms et les visages de MM. Thierry Breton et Jean-François Copé, ministres en charge du budget de l'État. Qui donc connaît ceux de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale, Van Roekeghem directeur de la Cnamts ou Patrick Hermange directeur de la Cnavts : or, les comptes de la sécurité sociale recouvrent des dépenses supérieures à celles de l'État central.
Ne laissons pas non plus nos frères contribuables cotisants et corvéables dans l'ignorance : la vraie direction la "Sécu" se situe à Bercy, autrement dit dans un royaume d'incompétence prétentieuse et d'autisme technocratique, et non au "ministère de la santé et des solidarités", administration dépourvue de véritables moyens financiers.
Échapper au monopole entraînerait la fin de cette tutelle.
Or, la question posée, 15 ans après l'adoption par le Conseil européen des directives de 1992, demeure toujours invariante : peut-on concrètement, peut-on vraiment, en France sortir des systèmes dits de sécurité sociale ? Les autorités publiques reconnaissent-elles cette démarche pour légale ?
La réponse varie selon les interprètes de la situation.
Strictement en effet pour "sortir de sécu" encore faut-il s'entendre sur ce que veut dire "sécurité sociale".
Pour la masse des Français, notamment pour les salariés du secteur privé immatriculés par l'entremise du patronat, et bien entendu pour les fonctionnaires, nous restons fort loin du compte.
Pour les indépendants, cela se révèle encore difficile, tant les pesanteurs monopolistes s'exercent sur les tribunaux, eux-mêmes composés de fonctionnaires, faut-il le rappeler.
L'exil fiscal de plus en plus spectaculaire a d'ailleurs amené l'opinion à observer, sans toujours la comprendre, la situation européenne de concurrence administrative. Curieusement, peu de Français ont pris conscience, en revanche, d'un phénomène pourtant analogue, et probablement de plus grande ampleur, occasionné par les "charges sociales". Celles-ci ont entraîné la délocalisation statutaire parfaitement légale de très nombreux actifs, de tous âges, de toutes conditions : exode des cerveaux et des bras aussi ruineux, et préoccupant pour l'avenir, que l'évasion de capitaux. De la sorte, en France, grâce au fiscalisme et au socialisme, les facteurs de production s'enfuient, les demandeurs d'assistanat accourent.
Or, une évolution adviendra, inéluctablement, que cela plaise ou non.
Ou bien la prise en compte de la concurrence européenne imposera, non seulement la fin du "modèle social français" mais la prise de conscience des tares du système actuel.
Ou bien la Sécu coupera la France du processus de construction européenne, dont elle avait constitué l'avant-garde depuis les années 1950.
Lors du referendum de 2005, les contorsions du projet Giscard et de ses partisans, refusant de trancher, incapables de dessiner les contours d'une Europe des libertés, ont abouti à la victoire écrasante du Non. Ce fut un premier acte de la tentative d'abrogation de l'Europe par la Sécu.
Heureusement nous devons espérer un nouveau projet européen, s'écartant des fausses utopies et de tous les mauvais cauchemars de la technocratie.
Une avant-garde déterminée aidera à l'évolution des choses.
Un jeune candidat, sans doute virtuel, à la présidence, M. Édouard Fillias a crânement déclaré qu'il quittait lui-même la "Sécu" — sans suggérer à quiconque de l'imiter, puisque ce serait interdit !
L'un des plus ardents et des plus anciens défenseurs des libertés sociales, le Dr Claude Reichman (2) fait d'ailleurs remarquer une intéressante et subreptice involution des normes juridiques répressives hexagonales. On la trouve dans la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2007. Ce texte crée en effet un article 114-18 du Code de la sécurité sociale ainsi rédigé :
"Toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, incite les assujettis à refuser de se conformer aux prescriptions de la législation de sécurité sociale, et notamment de s'affiler à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations et contributions dues, est punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 15 000 euros ou de l'un de ces deux peines seulement".
Bigre !
Mais, lecteur attentif, le Dr Claude Reichman souligne (3) que ce texte réprime simplement l'incitation à se soustraire à l'obligation d'assurance. Nous entrons ainsi dans une nouvelle logique, fortdifférente du texte antérieur, celui de l'article 652-7 alinéa 2, désormais abrogé, et dont le libellé protégeait contre de telles campagnes incitatives, l'adhésion précise aux divers organismes corporatifs monopolistes réputés obligatoires, ceux de l'Hexagone.
De là à conclure à une ouverture, en partie discrète, largement forcée par réalité européenne, à une salubre concurrence, on devine la conclusion et l'espérance des amis des Libertés sociales.
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) "Chacun" : et d'abord les affairistes du monde de la Mutualité qui conservent encore, sur ce marché, de nombreuses positions, outrageusement favorisées par la réglementation hexagonale.
(2) Président du Mouvement pour la liberté de la protection sociale, 165 rue de Rennes Paris 6°
(3) Communiqué MLPS du 11 janvier 2007.