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Plusieurs correspondants m'ont évidemment reproché, avec d'excellentes raisons, l'expression d'une sympathie pour Mme Merkel dont je voudrais, par conséquent rappeler les raisons et les limites. La naïveté consisterait bien sûr à croire un homme politique sur parole, celui-là comme les autres.
La raison de cette réserve ne découle pas seulement de la qualité intrinsèque des princes.
De toute manière, nous ne devrions jamais investir notre foi ni dans leurs souffles, qui s'en vont et retournent à la glèbe, ni dans leurs pensées qui périssent avec eux.
Bien plus encore, les dirigeants européens de notre temps se rattachent tous à des modes de propagation des mots d'ordre dont les organes communs de conception les rendent interchangeables : entre un démocrate chrétien et un radical socialiste, un centriste et un social-démocrate, aucune différence concrète ne se manifeste sur le terrain.
Dans cet univers aseptisé le prêt-à-penser sert de règle d'or. Personne ne remettra en cause le discours conventionnel, toujours hypocrite, souvent stupide, recyclé par ces boîtes à idées creuses, préfabriquées et conformistes du système, tel que le groupe de Bildergerg (1), la commission Trilatérale et autres cercles synarchistes.
Les uns osent se dire de droite, selon l'air du temps, la plupart, se réclament encore des idéaux de la gauche, mais ces mots eux-mêmes ont pratiquement perdu l'essentiel de leur signification.Or, Madame Merkel n'échappe évidemment pas à cette loi de pesanteur de nos démocraties tant soit peu frelatées. Et elle s'en émancipe d'autant moins que la situation parlementaire allemande l'a privée de toute marge de manœuvre, puisque son gouvernement relève de ce qu'on appelle une grande coalition entre conservateurs vaguement chrétiens et socialistes. D'autre part, sa présidence de l'Union européenne, si importante que puisse paraître la contribution financière de l'Allemagne aux budgets communautaires, s'exerce pour une durée de 6 mois. Elle a d'ailleurs elle-même défini ses objectifs en fonction de ce bail précaire.
Deux points me paraissent cependant profondément positifs dans son propos et cela, je le répète, mérite d'être souligné.
1° Mme Merkel s'est toujours opposée à l'entrée de la Turquie comme membre à part entière de l'Union européenne. Ceci contrevient à un processus dont M. Juppé, dans le cadre de la présidence française, a pratiquement imposé, en 1993, le virage décisif puisque depuis lors la Turquie appartient à l'Union douanière.
2° Mme Merkel exprime la volonté de réintroduire la référence aux racines chrétiennes de l'Europe.
Conceptuellement nous nous devons de remarquer la substantielle différence avec les mots d'ordre laïcistes de la classe politique française. Nous verrons bien si, à l'usage, l'expression "je vous ai compris" reçoit de cette chancelière sa traduction allemande.Or un troisième point, son désir affirmé d'aboutir à un nouveau projet constitutionnel européen, va faire querelle. Il va lui valoir les attaques systématiques de la technocratie et de la classe politique hexagonales, toutes fiérotes d'avoir sabordé elles-mêmes, par pure incompétence et par ignorance du sentiment populaire, le projet de Traité constitutionnel peu lisible, quoique bordé de bonnes intentions, concocté par Giscard d'Estaing avec la bénédiction porte poisse de son ennemi intime Chirac.
L'échéancier indiqué actuellement propose la ratification d'un nouveau traité en 2009, et, pour juin 2007, la conclusion de sa présidence se terminerait par l'acceptation d'une relance du processus. En ce sens la réunion à Madrid des 20 pays acquis à l'ancien projet constitue un premier pas. Au printemps, le 50e anniversaire de la signature du traité de Rome de 1957 permettrait une étape psychologique d'autant plus importante qu'elle coïnciderait peut-être avec la fin de l'ère chiraquienne en France.
Le vrai choix proposé aux Européens restera entier. Il se situera entre, d'une part, la situation de blocage autour de l'actuel et complexe écheveau des traités existant (2), et, d'autre part, une mise en ordre des institutions, ou bien, enfin, une redéfinition de la Charte des droits. La conception d'une Europe des libertés inciterait plutôt à soutenir la seconde solution, celle d'un traité plus modeste et plus souple, remettant l'Europe dans sa vocation initiale et lui permettant de retrouver le sens de son identité et de sa liberté.
Si le délai très bref dont dispose la présidence allemande permettait de faire avancer la famille européenne vers un tel objectif Mme Merkel aurait alors mérité, effectivement et durablement, notre estime.
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) Un correspondant habituellement bien documenté m'assure que Mme Merkel aurait été intronisée membre de cette confrérie à Munich en 2005. Je n'ai pas pris le temps de vérifier.
(2) Le compromis le plus bancal demeure certainement celui adopté douloureusement en décembre 2000, au terme d'une calamiteuse présidence chiraquienne et signé à Nice en février 2001.