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Sur plusieurs grands dossiers de politique internationale, l'Europe apparaît en tant qu'acteur et négociateur. Elle fait partie, par exemple, du fameux quartette supposé apporter une solution au problème du Proche-Orient. Elle va devoir se prononcer aussi sur l'évolution du Kossovo. Elle prend parti et discute du contentieux nucléaire iranien. Elle cherche enfin à établir un protocole avec la Russie, où l'approvisionnement en pétrole et en gaz naturel devrait figurer en bonne place.
Dans tous ces dossiers, face aux grands fauves comme aux petits griffons, l'Europe doit se contenter du rôle de vache à lait.
On ne saurait pourtant se satisfaire éternellement de cette position où les Européens n'interviennent que comme payeurs pour les décisions des autres.
Or, dans toutes ces grandes négociations, comme dans les petites, les mécanismes institutionnels de l'UE délèguent pratiquement la représentation et, surtout, la synthèse des intérêts respectifs, pas toujours concordants, des 27 États-Membres, à M. Solana, ancien secrétaire général de l'OTAN. De même avant de devenir grand maître de l'OMC, M. Pascal Lamy (1) parlait dans les débats commerciaux, au nom de l'Union européenne.
Il existe ainsi une symbiose inquiétante entre l'Europe institutionnelle et ces organismes internationaux. Nous croyons avoir affaire à "l'Europe", nous nous trouvons en présence d'un "Machin".
Certains déplorent l'absence de la question européenne dans le débat présidentiel hexagonal. Et pour cause : 60 % environ des électeurs potentiels de Mme Royal ont voté non en mai 2005, et probablement aussi 20 % de ceux de M. Sarkozy. Les états-majors politiciens demeurent donc tétanisés par cette expérience, et par la peur de perdre des voix.
Et pourtant il nous paraît possible, et nécessaire, de tenir un discours cohérent à propos de l'Europe, de dire par exemple qu'elle ne peut pas s'identifier et encore moins se limiter à une bureaucratie bruxelloise réglementant la longueur des bananes, publiant des milliers de pages de codifications agricoles contraignantes et ruineuses, mais incapable de gérer de véritables intérêts communs.
Lorsque les actuels États-Membres se révèlent impuissants à apporter des réponses à leur échelon, la subsidiarité commande d'en transférer la recherche de solutions à une dimension communautaire, et cela regarde notamment les relations avec les Etats-Unis, la Russie ou le Tiers-monde.
Autrement dit, il s'agira de dossiers tels que ceux de la défense, de la diplomatie ou de l'immigration (2).
Si l'UE, en tant qu'ensemble d'institutions communes ne peut pas servir à de telles perspectives européennes un peu plus vastes, on le concède, que celle des subventions agricoles, à quoi sert-elle vraiment ?
Cette question formulée brutalement se verra bientôt posée dans toute sa nudité, sauf clarification rapide des traités actuellement en vigueur (3).
Il me semble, – mais je demeure prêt à constater la part utopique de mon jugement,– qu'entre l'alignement inconditionnel et servile sur l'OTAN, et le dénigrement systématique et débile de tout ce qu'entreprennent toujours les Etats-Unis, il peut et il doit exister une voie européenne, disposant de moyens de défenses autonomes, lui permettant d'établir dans le cadre du choc, opposant non pas "les civilisations" entre elles mais la civilisation aux diverses barbaries et notamment à celle de l'islamo-terrorisme, de faire un front commun avec l'Amérique et la Russie, qui sont, l'une comme l'autre, filles de l'Europe.
Il m'apparaît aussi que les divers candidats gagneraient en lisibilité, en crédibilité, et en tout cas en honorabilité, à nous donner des indications sur ce terrain.
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) Ancien collaborateur de Jacques Delors et principal rédacteur du traité signé en 1991 à Maastricht.
(2) Soit, en gros, les matières figurant dans le traité signé en 1997 à Amsterdam.
(3) Et on peut légitimement considérer le traité chiraquien de Nice (décembre 2000 signé en février 2001) comme le plus néfaste.