On commence à nous parler de M. Bayrou comme d'un éligible. Et, somme toute, la lecture des sondages lui permet de rêver. Ainsi, le dernier en date (1) le fait monter de 3 points, à hauteur de 14, et le met en troisième position.
Cette hypothèse, jusqu'ici insolite, prospère actuellement sur plusieurs virtualités.
Tout d'abord, le monopole "à droite" de la candidature Sarkozy apparaît à certains, comme celle du "nouveau Chirac". D'autre part, on nous dit le "PS confiant au lendemain du discours de Ségolène Royal" (2), mais l'impression demeure floue. Elle préoccupe les partisans de cette candidate, et ses excellents camarades de parti ricanent. Les sondages nous la montrent encore en perte de vitesse de 2 ou 3 points. Et cette nouvelle petite frange, consécutive du virage à gauche, pourrait bien s'être portée sur son concurrent centriste. Et puis, enfin, la bipolarisation droite/gauche, si elle correspond à une tendance bien ancrée dans une partie encore majoritaire de l'électorat, mais, dans l'opinion, elle provoque un malaise croissant, de scrutin en scrutin, se traduisant par la montée des votes protestataires ou des abstentions : alors pourquoi pas du vote réputé centriste.
Ce n'est pas par hasard si en 25 ans la France a connu 8 scrutins nationaux désavouant le pouvoir en place.
M. Bayrou pourrait déjà reprendre une partie de l'influence étiquetée (3) "UDF". Supposée contrebalancer le RPR, dont elle n'a jamais été que le faire-valoir, l'UDF a été pratiquement éliminée en 2002, d'abord par l'inconséquence d'un Madelin, puis par la constitution de l'UMP et le ralliement de gens comme Douste-Blazy, Borloo et Robien.
Certains imaginent donc un François Bayrou grignotant, point par point, dans les 8 semaines qui nous séparent du scrutin présidentiel, une partie des voix attribuées jusqu'ici à Mme Royal et créer la surprise — une "vraie" surprise, c'est-à-dire une surprise "surprenante" – en arrivant au second tour. On retrouverait de la sorte le scénario du second tour de 1969 (4).
Isolément, t outes ces virtualités ne sont pas totalement invraisemblables.
Elles paraissent quand même un peu tirées par les cheveux. Elles posent, par exemple, comme fiables des sondages n'attribuant, par ailleurs, que 10 % des voix à Jean-Marie Le Pen, ce qui serait quand même un recul considérable par rapport au scrutin d'il y a 5 ans.
Par ailleurs on ne perdra pas de vue la question sous-jacente à de nombreuses manœuvres politiciennes, depuis 40 ou 50 ans, celle d'un retour à l'alliance socialo-centriste de la IVe république, ouverture au centre, plusieurs fois évoquée par Mitterrand (5) lequel s'est bien gardé de la concrétiser.En principe, l'identité la plus singulière, peut-être la plus intéressante, de M. Bayrou est son attachement à la construction européenne, alors que la quasi-totalité de la classe politique française a intériorisé le vote Non de 55 % des Français du 29 mai 2005, et adopte sur ce terrain le profil bas.
On doit se représenter que les Français ne tiennent nullement l'Europe pour une question prioritaire. C'est peut-être dommage, c'est sûrement une méconnaissance des véritables enjeux de pouvoir. Mais si le clivage européen influençait vraiment l'électorat, le potentiel de M. Bayrou ne serait pas de 14 % mais de 45 %, c'est-à-dire de l'ensemble des gens qui ont voté Oui puisque les deux autres partis du Oui, l'UMP et le PS, se sont désistés avec plus ou moins de franchise, de leur adhésion de 2005 au projet de traité constitutionnel.
On a eu l'occasion d'en savoir plus sur l'Europe de François Bayrou grâce au discours prononcé le 12 février à Strasbourg.
Honnêtement, j'ai lu les 17 pages de ce discours et j'invite les curieux à le parcourir. Il m'a paru largement décousu, axé sur de bien petites considérations, parfois honorables comme la description de la situation actuelle des minimums sociaux et de l'assistanat, tout autres que la perspective, de l'union continentale, et au total assez affligeant. Non par la ritournelle sur "l'Europe puissance", — laquelle, de toute manière, ne veut pas dire grand-chose dès lors que l'on ne nous en dit pas un mot de l'effort de défense, – mais bien par l'absence de toute vision de ce que pourrait être précisément une Europe supranationale, fédérale, confédérale ou plurinationale.
François Bayrou n'a pas peur d'employer l'expression "nation européenne" : pourquoi ne dit-il pas clairement ce qu'il propose pour cette "nation", en dehors de la photo jaunie de Robert Schuman et de la perspective d'une entente avec les héritiers des estimables Adenauer et De Gasperi ?
Il est, ma foi, toujours possible que le cœur des 3 000 assistants du Palais des Congrès de Strasbourg ait vibré ce soir-là pour M. Romano Prodi et pour Mme Merkel.
En revanche contrairement à Mme Merkel, que pas mal d'amis et lecteurs m'ont reproché de "soutenir", et que je persiste à applaudir au moins pour son attachement aux racines chrétiennes de l'Europe (6), pas une seconde M. Bayrou ne pose la question de l'identité européenne.
Avec des défenseurs comme cela, l'idée européenne n'a guère besoin d'adversaires.
Avec un tel clair-obscur, la France enlisée ne sortira pas de l'ornière.
JG Malliarakis
©L'Insolent(1) IFOP réalisé le 12 février, c'est-à-dire au lendemain du discours de Villepinte annonçant le 11 février le programme de Mme Royal.
(2) Tel est le titre d'une dépêche AFP du 12 février à 13 h 22.
(3) Depuis 1974, du fait de la victoire surprise de Giscard d'Estaing cette zone d'influence de la vie politique est sous la coupe d'une invention de Jean-Jacques Servan-Schreiber, lui-même de culture et d'origine radicale-socialiste, rallié à Giscard, mais évidemment rival de Chirac. Dès le départ l'UDF souffrait de cette conception étrange d'un parti "fédéral" associant les anciens démocrates-chrétiens, les radicaux-valoisiens, les républicains-indépendants, les "socialistes-démocrates" et les "adhérents directs". Il aura fallu attendre 1997 (avec la transformation par Madelin du parti républicain en démocratie libérale) et surtout 2002 (avec le ralliement à l'UMP de gens comme Robien et Borloo et des insubmersibles radicaux-valoisiens) pour que l'UDF résiduelle et tant soit peu "bunkerisée" autour de Bayrou retrouve une identité.
(4) avec le second tour Poher/Pompidou, et un parti socialiste à 5 %, alors que ses "deux candidats" associés, Gaston Defferre et Pierre Mendès-France avaient l'air tout de même plus crédibles que Mme Royal. Sur l'encyclopédie Wikipedia je trouve d'ailleurs l'intéressante affirmation suivante à propos de Gastounet : "Homme d'une franchise abrupte et directe, il contribue avec d'autres comme De Gaulle ou Michel Debré à l'insurrection populaire contre l'oppresseur allemand en 1945." En fait, dès 1944, il s'était emparé du Petit Provençal.
(5) C'est Fabius, et ce n'est pas Mme Royal qui dénonce "l'aimable imposture" de Bayrou en appelant le PS à réaffirmer "clairement qu'il n'envisage pas de gouverner avec l'UDF" (cf. Le Point le 10 février 2007 à 21 h 09).
(6) Entretien publié dans l'hebdomadaire allemand Focus le 21 janvier. J'aggrave mon cas, je remarque aussi que la situation économique allemande semble désormais bien meilleure que celle de la France. Sur le reste, mea culpa, ou plutôt : je ne sais pas.