Cette chronique peut paraître un peu particulière venant au moment où votre serviteur quitte un espace d'expression qu'il a aimé, "trop aimé" sans doute, pendant près de 20 ans (1).
Mon propos ne vient pas d'hier. Il remonte aux plus anciens souvenirs de ma jeunesse, quand par exemple, il y a un demi-siècle, la gauche refusait de recevoir le regard d'Albert Camus sur "Les Possédés". Mis à la scène à Paris, au moment où la guerre d'Algérie se transformait en tragédie française, le grand roman prémonitoire de Dostoïevski annonçait, et dénonçait alors par conséquent, le caractère formidablement destructeur de l'entreprise communiste (2). À l'époque, il ne fallait surtout pas désespérer Billancourt, estimait-on au café de Flore où trônait l'inquisiteur Sartre pour qui "tout anticommuniste demeurait un chien". Plus généralement encore on devait adhérer à la théorie de l'art engagé, et même à celle de l'inexistence d'une culture de droite. Un intellectuel ne pouvait se concevoir que "de gauche". Et se considérer "de gauche" cela voulait dire, se montrer platement ou obliquement favorable au système soviéto-communiste, ou à ses variantes chinoise, yougoslave ou cubaine.
Parallèlement les politiciens, intériorisant eux-mêmes un terrorisme intellectuel indifférent à l'électorat, ne se disaient jamais "de droite".
Aujourd'hui les choses ont beaucoup évolué dans la sphère politique. Timidement, malgré les divisions des droites, on voit apparaître des gens dont l'étiquette, alternative à la gauche, n'éprouve plus le besoin de se cacher derrière leur petit doigt.
Mon ami Olivier Pichon écrit de la sorte : "Un récent sondage, officiel celui-là, atteste que la gauche ne rassemble que 40 % de l’électorat. Jamais de telles proportions n’avaient été observées depuis 1969. Le problème est que les 60 %, réputés de droite, sont évidemment dispersés quand ils ne sont pas opposés." (3)
Olivier Pichon ne m'en voudra pas de compléter son propos : la dispersion des droites, car elles sont plurielles, se trouve attisée par les ambitions politiciennes.
Certes on peut concevoir un éventail de préférences culturelles droitières, voire des coteries ou des écoles artistiques rivales : mais la course à la vanité du Pouvoir, la dépendance vis-à-vis de l'État, caractérisent l'une comme l'autre le politique.
L'intellectuel de gauche se retrouve imbriqué dans la politique : c'est sa vocation.
Les intellectuels rejetés ou engagés "à droite", et beaucoup font actuellement cette expérience inattendue pour certains d'entre eux, se méfient naturellement du politique. S'ils écrivent, s'ils peignent, s'ils composent, leur préoccupation artistique échappe à la sphère publique. Un grand danger menace-t-il la Cité, hier le communisme, aujourd'hui l'islamo-terrorisme sur un fond décadentiel européen, leur désir d'alerter leurs compatriotes, d'exprimer leur attachement au patrimoine ou à la fois ancestrales, ne saurait se réduire à la casaque ou à l'enseigne de tel candidat à telle fonction civique, finalement dérisoire au regard de l'Histoire européenne.
Mépriser ces artistes ou ces intellectuels, se complaire dans l'attitude matérialiste d'un Staline à la conférence de Yalta, à son interjection célèbre : "le Pape combien de divisons ?" voilà la marque de la plupart des politiques purs et cyniques. Voilà aussi bien des considérations à fort courte vue. À l'inverse une pensée telle que : "Un Fra Angelico combien ça coûte" ? "Platon quel tirage" ? "La princesse de Clèves à quoi ça sert" ? n'effleurera jamais un homme de culture.
Cela se reflète à l'évidence dans la crise actuelle, la toute petite crise dans le petit bocal de Radio Courtoisie. Tant d'amis vont encore y ramer pour en maintenir les lambeaux. Certains sont loin de pouvoir être tenus pour des oripeaux et la plupart souhaitent encore la maintenir radio culturelle, à défaut de se révéler vraiment "associative". Je leur maintiens aux uns mon amitié, aux autres mon estime.
Je pourrais m'appliquer, pas besoin d'artifice, à faire le tableau de tel personnage exaspérant, cassant et péremptoire: je dirai simplement qu'il distille en moi, tout simplement, impardonnablement, l'ennui.
Le discord vient de plus loin.
Le désaccord en profondeur porte au bout du compte sur ceci : entrée dans la tutelle de la politique et de ses jeux d'appareils, — car telle est la préoccupation dominante de l'actuelle gestion de fait, — elle s'emploiera à diviser les droites, y compris dans la prétention à en incarner l'unification factice, dans une référence artificielle et rhétorique à "la droite" et non plus à faire cohabiter "les droites", expression qu'employait toujours Jean Ferré.
Il ne s'agit pas ici d'une simple nuance.
Reconstruire un espace où l'intelligence, l'esthétique et la culture seront recherchées et appréciées pour elles-mêmes indépendamment du pouvoir d'État et de l'arrogance des politiques, on jugera peut-être qu'il s'agit d'une ambition démesurée.
L'intention ne doit pas s'en fourvoyer dans la polémique. Défendre la liberté, suppose que l'on accepte celle des autres. Qu'ils s'expriment donc. Qu'ils profitent des derniers temps du monopole hertzien géré par des institutions para-étatiques pour s'accrocher aux illusions nostalgiques de la souveraineté jacobine.
Quant à votre serviteur, avec ses amis d'Arcole, il contribuera à une expression libérée de toute attache avec un parti politique, quel qu'il soit, ouverte à toutes les droites et j'ose le dire insolemment au-delà des clivages politiciens de l'Hexagone, à la recherche de l'intelligence, du talent et de la vérité c'est-à-dire, très ambitieusement au-delà des frontières et des cicatrices de la petite histoire politique à la grande Histoire de la grande Europe, la vraie, celle de la culture, celle de l'esprit, celle de la Liberté.
JG Malliarakis
©L'InsolentL'Enregistrement de cette libre chronique est installée sur le site d'ARCOLE
(1) On trouvera, pour ceux qui ont manqué un (ou plusieurs) épisodes sur le site d'Arcole, Amicale des responsables d'émission de Radio Courtosie, les circosntances de cette crise, qui dure depuis le 23 octobre, et de ma démission publique le 23 février.
(2) L'expression est de Monnerot.
(3) Dans son éditorial de Monde & Vie numéro 775 daté du 24 février 2007
(4) Voir l'intéressant dossier du Nouvel Observateur numéro 2206 du 15 février 2007. "Les intellectuels et la droite Ceux qui basculent, ceux qui résistent." Vous êtes toujours de gauche? demande le journal à Bernard-Henri Lévy. Qui répond "Oui, naturellement. La gauche est mon univers fondateur."