L'actuelle campagne électorale connaîtra encore de nombreux virages. On peut considérer l'importance de l'épisode entamé ces jours-ci, imposé par le dossier Airbus, et surtout par son traitement politique.
En présence d'un plan d'assainissement financier, une fois de plus, les médiats mettent l'accent sur les diminutions d'effectifs, et sur leur répartition géographique. Le nombre des salariés d'Airbus passerait de 57 000 à 52 000 en 4 ans. On présente donc, pour faire bonne mesure, cette diminution multipliée par 2, alors qu'elle correspond pratiquement au simple rythme des départs en retraite, (en moyenne 2,5 % par an pour des carrières de 40 années, soit 10 % en 4 ans). Étrangement les orientations de ce plan dit Power 8 tendant à durcir les relations avec les sous-traitants et fournisseurs, 500 petites entreprises pour la seule région Midi-Pyrénées ne semblent intéresser personne. Seul l'emploi dans les grandes unités de production préoccupe les bureaucraties syndicales et les salles de rédaction.
La dramatisation de cette affaire à l'échelle du continent prend d'ailleurs une tournure symbolique. Le brillant partenariat transfrontalier à quatre, dont on se glorifiait, lentement institué depuis la création du GIE Airbus incorporant les Britanniques depuis 1970, étendu aux Espagnols en 1971, prend maintenant figure en quelques jours d'antagonisme franco-allemand tragique.
En une poignée d'heures le 1er mars, on a vu se propager l'onde de choc sur la campagne présidentielle. Ce jour-là un Villepin en fin de course, manifestement à l'écart de sa propre majorité, tenait une conférence de presse clairsemée : 14 ou 15 journalistes s'y battaient en duel. Au cours des 18 réunions mensuelles précédentes il avait tenu la vedette. Désormais, tout le monde sait que son prochain et 20e point de presse sera le dernier.
Son propos contient cependant la part d'explosif à retardement mis sous les pieds de son rival d'hier, candidat de son parti au scrutin présidentiel. Il se réclame en effet aujourd'hui de la préservation de l'étatisme faisant mine de se féliciter que les choix de son gouvernement en matière économique et sociale devaient être "poursuivis" dans le prochain quinquennat. "C'est l'orientation qu'a prise ma famille politique et je m'en félicite", a-t-il dit contre toute évidence. Il ignore donc le slogan non équivoque de "rupture" sur lequel s'est fait plébisciter par sa base le président de l'UMP. Le dernier fidèle du clan chiraquien anticipe ainsi sans vergogne sur une probable pression imaginée, lors de son 107e Congrès à Paris le 16 décembre 2006, par le parti radical de M. Borloo, très désireux d'occuper une position charnière entre les deux tours.
"Il n'y a pas d'un côté une entreprise qui se bat et l'État qui regarde". Fièrement, M. de Villepin annonce de la sorte que l'État va "débloquer 100 millions d'euros pour la filière des matériaux composites". Sans l'implication du gouvernement, dit-il sur le mode lyrique "ce n'est pas de l'inquiétude que vous verriez dans les yeux de nos compatriotes" mais "du désespoir". Le propos global du dernier Chef de gouvernement de M. Chirac tend encore à "récuser l'argument de l'impuissance des politiques".
Immédiatement Le Monde s'engouffrait dans la brèche.
Ségolène Royal allait rapidement suivre.
Avec d'autres élus socialistes elle se précipite donc le 2 mars à Pau rencontrer l'intersyndicale d'Airbus.
Dans le Gers, le 3 mars elle réinvente un de ces néologismes et barbarismes dont elle détient le cordon-bleu. Elle fait mine en effet de fustiger ce qu'elle nomme "l'aquoibonisme" du gouvernement Villepin. "Il y a toujours une façon de résister, de dire non", ose-t-elle affirmer. Et elle promet qu'en cas de victoire socialiste à l'élection présidentielle, "l'État interviendra pour recapitaliser et redéfinir le pilotage industriel".
"Non" dites-vous : mais "non" à quoi Mme Royal ? Non à la loi de la pesanteur ? Non au fait que l'on fabrique des avions en vue de les vendre ?
L'intervention étatique, plaie de l'activité industrielle en général et d'Airbus en particulier, devient un cheval de bataille. On doit la préserver à tout prix, comme s'il se révélait conservateur de maintenir sa propre maladie.
Le mot d'ordre des politiciens, tous tétanisés par cette affaire, devient ainsi que "l'État peut parfaitement intervenir" car "il est actionnaire".
Comme chacun le sait le devoir de l'actionnaire se résume à payer.
S'agissant de l'État ou des Régions, – car dans cette affaire les présidents de régions comme Midi-Pyrénées en France ou le Land de Basse-Saxe en Allemagne montent singulièrement au créneau, – de toute façon on trouve toujours tout à fait normal de faire payer des centaines milliers de contribuables sous prétexte de sauver en les subventionnant quelques centaines "d'emplois".
Ce 5 mars Villepin reçoit les présidents des assemblées sur le thème de l'intervention dans Airbus, et Mme Royal se présente dans cette affaire comme l'interlocutrice future de Mme Merkel.
La première personne déplorant cette captation du dossier par les hommes de l'État s'appelle Louis Gallois.
Paradoxe, dira-t-on, on avait précisément nommé le président d'EADS pour défendre les centres d'intérêts de l'appareil gouvernemental, comme il s'y était employé à la tête de la SNCF. Aujourd'hui il dénonce plus que tout autre, plus que les pamphlétaires du libéralisme, l'intrusion du politique dans la gestion du dossier. Dans ses déclarations au Financial Times (1) il évoque une "surprise". On peut la trouver étonnante et la tentation nous viendrait de la mettre, si nous n'étions pas en présence d'une simple figure rhétorique, au crédit d'une relative niaiserie : "J'ai été très surpris, dit-il, de voir que chaque gouvernement, Britannique, Français, Allemand et Espagnol, disait nous voulons la meilleure part du gâteau, nous voulons les composites, la haute technologie et ainsi de suite. Mon travail était de sauver Airbus et de lui assurer un avenir. J'ai vu plein de gens voulant la plus belle part du gâteau sans se préoccuper de la taille du gâteau à partager. J'ai répondu qu'il était plus important d'avoir encore Airbus dans 20 ans".
La contradiction entre traitement politique et direction d'une entreprise ne devrait échapper à personne.
On veut faire au contraire de l'intervention étatique un tabou national.
JG Malliarakis
©L'InsolentL'Enregistrement de cette libre chronique sera installée chaque matin sur le site d'ARCOLE
(1) 3 mars 2007