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Sceau personnel de JG Malliarakis

CHRONIQUE DE L'EUROPE LIBRE

JEUDI 5 JUIN 2003

SI LES TURCS FAISAIENT PARTIE DE LA FAMILLE EUROPÉENNE, CELA SE SAURAIT

Abdullah Gul ministre turc des Affaires étrangères : Peut-il être candidat simultanément à la famille européenne et à la famille arabe ?

Ce 5 juin, invité à donner une conférence sur le thème "La Turquie, l’Islam et l’Europe", il apparaît que le rejet de la candidature de la Turquie demeure bien une pierre d’achoppement de l’Europe vraiment libre.

Pendant des années, on a pu remarquer combien les États-Unis semblaient souhaiter l’entrée de la république turque dans ce qui n’était pas encore l’Union européenne mais le Marché Commun. Après l’accord d’association de 1963 avec le Marché Commun, il fut longuement question de l’Eurogroup de l’OTAN, pilier européen éventuel de l’Alliance Atlantique : il fallait à tout prix que la Turquie fit partie de cette instance.

Pendant pratiquement 40 ans, on a vu de la sorte une certaine politique américaine insister ainsi de manière constante pour imposer à l’Europe un partenaire dont la plupart des Européens n’avaient aucune connaissance et probablement aucun souci.

Entre 1985 et 1987, sous l’impulsion d’un honnête marchand de loukoums, dont elle fit son un président civil de la république, M. Turgut Ozal (1), la république d’Ankara s’est enhardie. Elle a déposé une demande officielle de candidature. Elle a de ce fait engendré une réaction un peu gênée de la part des pays de la Communauté européenne et, à l’époque, Le Monde avait résumé ainsi l’attitude diplomatique de la plupart des chancelleries : ce qu’on appelle en jargon eurocratique "Comment traiter la candidature de la Turquie", cela veut dire en fait "Comment éluder sans vexer".

À l’époque si Turquie avait pu entrer en Europe, elle l’aurait fait en tant que 13 membre, aujourd’hui elle est toujours candidate mais en tout état de cause il est acquis qu’elle ne pourrait adhérer qu’après l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie prévue pour 2007.

Elle est donc devenue en quelque 15 ans, entre 1987 et 2002, non pas le 13, mais le 28 membre potentiel de l'Union.

Or, en 2003, depuis la candidature officielle de la Croatie, on a appris de la bouche de M. Chris Patten, responsable officiel à l’élargissement que les 6 pays des Balkans occidentaux (2) semblent avoir vocation, eux aussi, à passer avant Ankara, ce qui rétrograderait encore à la 34 place ce grand pays réputé ami.

Par quel sortilège cette nation dont George Bush père disait en 1991 qu’elle était "l’étoile montante de l’Europe" est-elle devenue l’étoile filante des institutions européennes rétrogradant de plus de 20 places.

Est-ce alors une sombre machination des puissants lobbies grecs et arméniens, puissances occultes acharnées à dénigrer la gentille Turquie ?

Nous avons du mal à le croire.

Pendant la même période, en effet, la Turquie était considérée à la fois comme une sorte de rempart de la laïcité et de la démocratie. Elle était, au Proche-Orient, l’alliée des Américains et des Israéliens. Elle avait donc tout pour plaire. Et pendant les différents conflits yougoslaves de 1991 à 1999, on l’a toujours vue très active du côté politiquement correct, alliée des Bosniaques et des Albanais notamment.

Manifestement alors, elle cherchait à reprendre pied, en attendant sans doute de remettre la main sur le Sud-est européen. Elle bénéficiait alors de la connivence de toutes les autorités bien pensantes, celles qui noircissent toujours les méchants chrétiens orthodoxes, inexplicablement hostiles à cette honnête et pacifique reconstruction d'un espace autrefois ottoman.

Non, par conséquent, on ne peut pas dire que les gentils Turcs soient victimes d'une vilaine campagne de désinformation.

La vraie réponse semble plutôt être que ni sur le plan des libertés formelles, ni dans les négociations concrètes, où ils sont redoutablement psychorigides, ni sur le plan des contacts humains, les Turcs ne parviennent à se faire admettre par la famille européenne, tout simplement parce que ce n’est pas leur famille.

Tous les professionnels du politiquement correct en France se sont notamment employés, depuis le séisme électoral de novembre 2002, à minimiser la conquête par le parti islamique Justice et Développement de la majorité absolue au parlement d’Ankara (3) . En un sens nous serions prêts à leur donner raison.

L'évolution vient de loin.

De longue date, par exemple, la Turquie a rejoint les rangs de l’Organisation de la Conférence Islamique.

On ne peut se reconnaître dans cette identité et se dire laïc.

En janvier 2003, le gouvernement d'Ankara dirigé par M. Abdullah Gul (4) a même fait plus à la tête du gouvernement turc en annonçant un acte de candidature à la Ligue arabe.

Peut-on être candidat simultanément à la famille européenne et à la famille arabe ?

JG Malliarakis

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(1) Président de la république de novembre 1989 à avril 1994, Turgut Özal avait été auparavant premier ministre à la tête du parti Anap "de la Mère Patrie". Il était déjà à sa manière un "islamiste modéré", membre de la confrérie des derviches naqshbendi, plus répandue en Asie centrale qu'en Europe. Il succédait au général Kenan Evren président de novembre 1982 à novembre 1989, lui-même arrivé au pouvoir du fait d'un putsch militaire "laïc".

(2) Cette expression géographique euphémique désigne l'ex Yougoslavie et l'Albanie.

(3) Le Parti actuellement majoritaire au parlement turc "Adalet-ve-Kalkinma-partisi" ou parti "AK" ("Justice et Développement") n'est en fait qu'un xième avatar du vieux parti islamo-nationaliste turc qui fut progressivement, sous des noms différents (parti du salut national, parti de la prospérité, etc.) - épisodiquement associé au pouvoir (il l'était dans le gouvernement de 'front nationaliste" constitué par Ecevit, lors de l'invasion de Chypre en 1974) - puis en 1996 principal parti au parlement il fut appelé à constituer le gouvernement Erbakan, auquel les militaires du "Conseil de sécurité nationale" imposèrent de se retirer en 1997 au nom du laïcisme kémaliste.

(4) M. Gul était alors Premier ministre, en attente de la régularisation juridique des droits constitutionnels de M. Erdoghan. Lors de l'accession officielle de celui-ci au pouvoir, en mars, M. Abdullah Gul est devenu ministre des Affaires étrangères.

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