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CHRONIQUE DE L'EUROPE LIBRE
VENDREDI 6 JUIN 2003
LE CRITÈRE DE LA DÉMOCRATIE DOIT-IL SERVIR DE RÉFÉRENCE DE LA POLITIQUE INTERNATIONALE ?
Il nest pas outrageant de ne pas être européen
Un ancien condisciple, retrouvé grâce à mes courriers économiques après bientôt 30 ans me rappelait un épisode que javais complètement oublié. Cela se passait en 1969 et nous faisions dans le grand amphi de Sciences Po un meeting de réponse aux gauchistes qui depuis mai 1968 tenaient le haut du pavé à Paris.
Ce jour-là nos amis avaient dressé une grande banderole "Vietnam Oussouri même combat". LOussouri ? Cétait ce fleuve séparant la Russie de la Chine et sur lequel des incidents violents avaient opposé les deux armées, alors même que les deux pays politiquement communistes soutenaient la guerre de conquête menée par le Nord Vietnam contre le Sud encore défendu par les Américains et leurs alliés.
Oui, on pouvait être, et nous étions solidaires des Américains et des Australiens au Vietnam comme des Russes face à la Chine maoïste. À la même époque un poète officieux comme Evgueni Evtouchenko, sorte de faux contestataire de lère Khrouchtchev embouchait les trompettes dun nationalisme russe presque convaincant
Le nationalisme européen nous semblait la réponse la plus appropriée face au déferlement des vagues rouges marxistes et maoïstes, destructrices des traditions, des efforts nationaux séculaires. Il y avait clairement dun côté le nationalisme, de lautre le communisme.
Aujourdhui, bien sûr, nous avons pris lhabitude de considérer une certaine philosophe se réclamant des Droits de lHomme, une société unanimement ralliée aux formes politiques de démocratie, une économie tirant sa prospérité dune ouverture vers les libertés.
Ces critères nous les croyons volontiers universels. Et lorsque nous envisageons un problème comme la candidature de la Turquie à lUnion européenne, nous acceptons volontiers, trop facilement peut-être, que cette candidature soit traitée en fonction des critères universalistes de respect des droits de lhomme, des libertés économiques et des procédures démocratiques.
Il est significatif de voir que les islamistes turcs (1) se servent de cette démarche pour interdire de plus en plus aux militaires du Conseil national de sécurité de protéger autoritairement les reliquats de laïcité de la société turque. Un coup dÉtat militaire laïc fermerait la porte de lUnion Européenne, alors que la victoire électorale relative du parti islamiste na pas eu directement cet effet. De même, lUnion européenne ayant supprimé la peine de mort de son Code pénal, on nous dit, et l'on dit aux Turcs, quil est inconcevable pour une nation candidate à lEurope dappliquer cette sanction éliminatoire des criminels les plus odieux.
Cette vision fausse englobe une part de vérité, mais elle lobserve sous un angle déformant. La réalité cest que le comportement des Européens, sil a donné naissance au XVIIIe siècle à la philosophie des Lumières puis à la Déclaration des Droits de lhomme, mais aussi au marxisme à la fin du XIXe siècle, ce comportement et cette vue au monde sinscrivent dans une histoire qui ne recoupe pas celle des peuples de lOrient.
Les critères que lEurope fixe, même maladroitement, deviennent très vite insupportables au droit coranique et même à une législation turque, théoriquement européenne mais de plus en plus ramenée dans la pratique vers les conceptions islamiques.
Gobineau le disait : "Les gouvernements ne changent pas les peuples". Que la Turquie fasse rédiger sa constitution par des cabinets juridiques Occidentaux ne changera rien au fait quelle nest pas européenne, pas plus que le Pérou ou lIndonésie. Il nest pas outrageant de ne pas être européen. Cela ne le devient curieusement quà partir du moment où les Européens (2) prétendent se fonder sur des critères universalistes, alors que ces critères ne reflètent que nos mentalités particulières.
Ce nest pas le sens identitaire qui pousse à loutrage et à laffrontement.
Cest ici bel et bien ici le mondialisme, la prétention de s'appuyer sur des critères faussement universels.
JG Malliarakis et Jean-Louis Balivier
(1) Le parti AK ("Adalet-ve-Kalkinma-partisi"), du jour où il est devenu majoritaire au parlement turc a cessé d'être désigné dans la presse conformiste française comme simplement "islamiste". Il est politiquement correct de le dire "islamiste modéré" ou "musulman conservateur". Si, par exemple, ce parti développait son programme dans le contexte d'un pays catholique, on le dirait "intégriste" et "populiste".
(2) comme le font bien souvent aussi les Américains, et les intellectuels européens ne manquent jamais de le leur reprocher...
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